ITW de Stéphane Henchoz publiée dans le Nouvelliste du 16 novembre 2019
Stéphane Henchoz est le premier entraîneur à s’exprimer après son départ du FC Sion. L’ancien international et défenseur de Liverpool ne mâche pas ses mots. Interview sans langue de bois.
GREGORY.CASSAZ@LENOUVELLISTE.CH
Il ne voulait pas en parler. Pour lui, c’est déjà du passé. «Sion et moi, c’est fini», a commencé par dire Stéphane Henchoz. L’entraîneur fribourgeois, qui a décidé de quitter le club valaisan il y a deux semaines, a finalement accepté de revenir sur son passage sur le banc sédunois en marge d’une conférence autour de la gestion des médias sociaux chez les sportifs organisée par la structure Sport-Arts-Formation à Grône.
Stéphane Henchoz, la conférence à laquelle vous avez été convié traite des réseaux sociaux. Voilà qui tombe bien, puisque les footballeurs y sont relativement actifs. Suiviez ou surveilliez-vous les joueurs du FC Sion à travers ces réseaux?
Je n’ai pas de compte Instagram, ni Twitter ou Facebook. Mon fils, par contre, en a un. Par son intermédiaire, je voyais ce que les joueurs faisaient. J’avais parfois quelques surprises ou demi-surprises en voyant ce qu’ils publiaient.
Par exemple?
Je ne dis pas qu’un joueur doit s’enfermer après une défaite. Mais j’avoue avoir été parfois relativement étonné d’en voir certains publier des images ou vidéos où on les voyait avoir la banane avec des amis alors qu’ils venaient de perdre un match. Si on est un tant soit peu professionnel, je ne vois pas comment on peut agir de la sorte. Les supporters, quand ils rentrent à la maison après avoir vu perdre leur équipe, ils n’ont pas la banane!
Cela ne reflète-t-il pas l’état d’esprit que vous avez pointé ces derniers jours dans d’autres médias? Etait-ce le même quand vous dirigiez Xamax?
Absolument pas. A Neuchâtel, on avait une vraie équipe. Avec de vrais joueurs. J’entends par là des joueurs avec du caractère. Là-bas, j’aurais pu donner le brassard de capitaine à sept ou huit joueurs. Les yeux fermés! Walthert, Nuzzolo, Doudin, Serey Die, Gomes, Di Nardo, tous ceux-là l’auraient mérité…
D’où vient ce décalage?
Je crois que les joueurs qui atterrissent à Sion ont un parcours ou un CV qui leur font penser que ce sont de grands joueurs, des stars. Ce qu’ils ne sont évidemment pas. Qu’ont-ils réalisé comme carrière jusqu’à aujourd’hui? Il y en a un, il a joué à Londres. Enfin, il croit qu’il a joué à Londres. Mais Fortune n’y a que habité. Ça s’arrête là. Je crois qu’on est là au cœur du problème. A Xamax, les joueurs ne se prenaient pas pour d’autres joueurs. Ils se prenaient pour ce qu’ils étaient: des professionnels. Avec un grand cœur et une tête. Ils donnaient tout ce qu’ils avaient.
Un peu comme à Saint-Gall qui impressionne depuis le début de la saison…
Là-bas, on retrouve des mecs qui ont faim. Qui sont issus de leur formation et qui veulent faire carrière. Ou alors, ce sont des morts de faim qui ont été recrutés en Espagne en 3e division où ils gagnaient 1000 euros par mois. Mais des mecs qui ont malgré tout été formés dans de bons clubs. Je peux vous garantir qu’ils ne veulent pas retourner en 3e division. Ces joueurs, qui sont aujourd’hui sur les terrains de Super League, savent d’où ils viennent: de 1000 euros par mois.
Vu que vous évoquez les salaires, Christian Rappaz articule dans «L’illustré» un montant de 60 000 francs que toucheraient mensuellement certains joueurs de Sion. Comprenez-vous que cela puisse choquer?
Bien sûr que c’est choquant! Si le joueur fait gagner l’équipe, qu’il est talentueux, qu’il s’engage sans rechigner et qu’il apporte du succès au club et qu’en plus le spectateur prend du plaisir à venir le voir, alors il sera prêt à passer par-dessus ce montant. Ça devient par contre tout de suite plus gênant et il est plus difficile de faire abstraction de ce montant quand ce même spectateur vient au stade, qu’il joue lui-même en troisième ligue et qu’il se dit qu’il est lui aussi capable de produire ce qu’il voit devant ses yeux. Qu’il est en tout cas capable de courir deux fois plus…
Stéphane Henchoz, n’avez-vous finalement pas été trop dur avec ces joueurs qui semblent être déconnectés de la réalité?
J’aimerais juste remettre l’église au milieu du village: j’ai été beaucoup plus gentil ici que ce que je ne l’étais à Xamax. Pourquoi? Parce que à Sion, il fallait caresser ces pseudo-stars dans le sens du poil… A Xamax, j’étais dur: quand c’était bien, je leur disais que c’était bien. Quand c’était de la m****, je leur disais aussi que c’était de la m****. Cela provoquait chez eux une réaction. Mais parce que j’avais en face de moi des types avec du caractère. Quand vous êtes footballeur professionnel, vous ne pouvez pas vous contenter de faire de la m****. Il faut faire mieux. Mais cela n’est tout simplement pas possible quand vous dirigez des types qui vivent dans leur zone de confort et à qui on a toujours répété qu’ils étaient les meilleurs et les plus forts.
On a l’impression que vous êtes le premier à oser dire tout haut ce que d’autres auraient pu penser tout bas…
Mais tout simplement parce que ma carrière, je l’ai faite. Je connais le niveau d’exigence que requiert le haut niveau. Ici, les joueurs croient qu’ils pourraient jouer ces matchs qu’ils voient à la télé le mardi et le mercredi soir. Ils doivent juste se rendre compte qu’ils sont à des années-lumière de pouvoir être sur un terrain et d’entendre l’hymne de la Ligue des champions.
Surtout quand on se plaint d’avoir deux séances d’entraînement par jour, non?
C’était trop pour eux. Ils étaient toujours fatigués. Pauvres chéris, je programmais une deuxième séance d’une heure l’après-midi… Et on ne parle pas de leurs remarques sur le fait que le terrain n’était pas assez plat ou que la nourriture n’était pas assez chaude.
Le problème n’est-il pas que l’entraîneur n’a plus aucune autorité au FC Sion?
Les joueurs connaissent l’histoire. Ils savent qu’eux restent et que, tôt ou tard, c’est à l’entraîneur de partir.