FC Sion, dans la lucarne
FOOTBALL. Le club valaisan prépare le lancement de sa chaîne de TV on line. Un défi audacieux.
Ludovic Chappex, Jeudi 16 août 2007
Il s'est finalement décidé à sauter le pas. Une nouvelle fois précurseur sur la scène du foot suisse, Christian Constantin lance sa web TV, une plate-forme exclusivement consacrée au FC Sion. Le président du club valaisan ruminait ce projet depuis quelque temps déjà, mais le coût de l'opération et l'audience potentielle, forcément limitée, l'avaient jusqu'alors dissuadé de tenter le coup.
Tout s'est accéléré vers la fin du mois de mai, quand un concept clair a commencé à émerger. Ancien pigiste à Baobab TV, un bouquet de télévisions sur Internet, le Valaisan Fabien Girard, 30 ans, a convaincu l'architecte octodurien de l'intérêt d'un tel site. «Tout s'est passé en un quart d'heure, dans le bureau du président, explique cet ancien étudiant, passionné d'histoire ancienne. Christian Constantin a approuvé l'idée et m'a donné un mois pour lui présenter un projet solide, cela avant de débloquer les fonds nécessaires.»
La plate-forme TV, indépendante du site officiel du club, sera accessible dès le mois de novembre (
http://www.fc-sion.tv). Il est prévu, dans un premier temps, de diffuser entre une et deux heures de contenu par semaine. Interviews de joueurs, présentations et résumés des matches, reportages sur des aspects particuliers du club, rien n'échappera aux supporters «rouge et blanc».
A l'objectivité des médias traditionnels, Fabien Girard souhaite opposer l'émotion, clé de voûte du projet, en s'inspirant, notamment, des exemples anglais et italiens: «La web TV devra incarner la voix du club. Et tant mieux si nous adoptons un ton partisan, estime-t-il; personne ne s'offusque du fait que tel ou tel quotidien, à l'instar de Libération ou du Figaro, milite à gauche ou à droite de l'échiquier politique. Personnellement, quand je regarde un match de foot, j'éprouve beaucoup plus de plaisir si je soutiens une équipe.»
Le team affecté au projet, composé pour l'instant de quatre personnes (cameramen, monteurs, directeur artistique), s'enrichira d'une journaliste-présentatrice dès le mois de janvier. Le budget initial a été fixé à 500000 francs. Pour Fabien Girard, les plates-formes TV des clubs de Manchester, Arsenal ou l'AS Roma, constituent des modèles à suivre: «Sur ces canaux de diffusion, la mise en scène est très dynamique; elle privilégie les plans serrés, style péplum, combat de boxe ou western spaghetti. Il s'agit de faire monter la pression autour du match de la semaine. C'est aussi notre objectif: des news de qualité et de la dramaturgie! La bande-son, notamment la musique, tiendra également une place importante. Pour fidéliser les spectateurs, nous prévoyons de respecter une grille de programme. Le premier samedi du mois, par exemple, une émission de reportage, «au cœur du FC Sion», plongera dans les coulisses du club (centre de formation, centre médical, etc.). De la même manière, nous suivrons la naissance du futur stade (ndlr: dont la construction demeure hypothétique), de son élaboration à son inauguration.»
Mais quid de la fréquentation du site? Permettra-t-elle d'assurer le fonctionnement du projet. Certains en doutent, à l'instar d'Olivier Bender, supporter acharné du FC Sion, directeur de la société Facilys, spécialisée dans l'e-marketing et les nouveaux outils internet, et concepteur du blog collaboratif «FC Sion TV non-officiel» (lire le complément).
Quant à Christian Constantin, adepte de l'agenda papier plutôt que du PDA dernier cri, il affiche pour l'instant une relative prudence. «Je n'ai aucune idée de l'accueil que recevra notre web TV, concède le président; c'est un projet expérimental, mais je sais qu'Internet représente le média d'avenir pour une plate-forme d'information. De plus, le coût du matériel devient raisonnable et la qualité continue d'augmenter.»
Premier club en Suisse romande à lancer une télé on line, le FC Sion double du même coup tous ses rivaux alémaniques, lesquels se contentent pour l'heure de proposer de simples vidéos (conférences de presse, interviews), de façon épisodique, sur leur site officiel. Victime de son succès, Sion se trouve de fait dans une situation idéale pour compléter son offre: le club s'est en effet développé très rapidement depuis son retour en Super League l'an dernier, si bien que l'actuel site web ne répond plus aux attentes. Un manque de mises à jour opportunément comblé, pour l'heure, par des sites de fans aux forums très actifs.
Si la web TV officielle veut durer, il lui faudra rallier une large frange de cette population.
Reste la question cruciale de l'acquisition des droits TV, propriété de SF1. Si la diffusion des matches en direct semble durablement exclue, la possibilité pour le club de disposer après coup des images officielles pèsera de tout son poids dans l'attrait de la formule. Comment, en effet, imaginer un service d'après-match (réactions, statistiques), le lundi soir, sans aucun extrait à visionner?
«Le moment venu, nous négocierons ce qui doit l'être, assure Constantin, volontiers évasif sur le sujet. De toute façon, une fois passé le moment du direct, les images TV n'ont plus le même coût.» Pour débattre de ces questions, une délégation du FC Sion, emmenée par Massimo Domenicangelo, directeur général, et Alexandre Zen-Ruffinen, avocat du club, doit se rendre à Berne la semaine prochaine afin de rencontrer les représentants de la ligue.
Au final, l'intérêt des sponsors, nerf de la guerre, n'est donc pas garanti dans l'immédiat. Qu'importe, Christian Constantin voit plus loin: «Grâce à cette web TV, nous allons disposer d'une plus grande autonomie», glisse le Valaisan. Le concept, il est vrai, autorise un certain affranchissement médiatique: la possibilité pour le club de communiquer librement, en tout temps, et par son propre canal.
• Le FC Sion affrontera le SV Ried ce soir à 18 h en Autriche pour le 2e tour qualificatif de la Coupe de l'UEFA.
«Un projet prématuré»
Pour Olivier Bender, fin connaisseur d'Internet, le FC Sion voit trop grand.
«Sur ce coup, Christian Constantin arrive cinq ans trop tôt. Le concept de web TV va se généraliser, mais cela prendra encore un peu de temps.» Directeur de la société de conseil Facilys, et spécialiste du e-marketing et des nouveaux outils internet (web 2.0), le Martignerain Olivier Bender juge avec scepticisme le projet du FC Sion.
Ce fidèle supporter du club valaisan, qui a conçu le site collaboratif «FC Sion TV non officielle» (
http://fcsiontv.typepad.com), lancé à la fin juillet, dispose, de fait, d'une certaine légitimité. «Sur notre plateforme, le contenu est généré par les internautes, qui peuvent poster leurs vidéos, images ou commentaires, explique-t-il. C'est un concept intéressant, malheureusement nous manquons de contributions. Quant au site officiel du FC Sion, il m'apparaît comme un projet discutable, poursuit Olivier Bender. Le budget annoncé à hauteur de 500000 francs me semble soit trop faible, soit trop élevé... Pourquoi ne pas s'être associé à la chaîne hertzienne Canal 9, qui dispose déjà d'infrastructures professionnelles? Un accord aurait certainement profité aux deux partenaires. Sur le Web, le nombre de spectateurs potentiels demeure malgré tout limité et je doute que les sponsors se précipitent.»
60000 clics par mois
Actuellement, le site officiel du FC Sion enregistre en moyenne 60000 clics par mois. Il paraît donc raisonnable d'espérer une fréquentation au moins similaire pour FC Sion TV. «Il faut diviser ce chiffre par cent, environ, si l'on souhaite connaître le nombre de spectateurs différents, tempère Olivier Bender. Avec aussi peu de visites, il devient difficile d'attirer de la publicité et de rentrer dans ses frais, sauf à rendre la plate-forme payante.»
Autre point d'interrogation, le club saura-t-il intégrer les spectateurs/supporters à son concept. «A l'heure du Web participatif, une censure intempestive et un manque d'interactivité pourraient miner le projet», assure Olivier Bender. Du côté du club, cette question semble encore en suspens. La balle est dans son camp.
[Le Temps 2007]