«Les joueurs, ils sont brisés par quoi?»
vendredi 24 mai 2013 10:20
Simon Meier
Christian Constantin, avec qui on a partagé 1h35 jeudi matin à Martigny, semblait calme et de bonne humeur. Coupable, pas coupable? Tout dépend de quel point de vue on se place. Voici le sien…
Bloody Monday: Lourde journée pour vous, mercredi… Entre le 0-4 essuyé contre Servette et la Lex Weber, qu’est-ce qui vous a frappé le plus durement?
Christian Constantin: Ecoute… On a une période un peu négative en Valais, tu vois. Entre les lois fédérales qui nous sont défavorables, le HC Sierre qui fait faillite et le FC Sion qui met pas un pied devant l’autre (il se marre), ce n’est pas une vraie bonne période, hein. Mais enfin, on doit faire avec.
Le FC Sion qui ne met pas un pied devant l’autre, ça nous fait penser à votre expression favorite du con qui marche et va toujours plus loin qu’un intellectuel assis. Un con qui ne met plus un pied devant l’autre, ça se casse la gueule, non?
C’est la preuve qu’on n’a que des intellectuels assis. Le problème dans un club, c’est quand c’est toujours la faute de l’autre. Tu tombes dans une situation où personne ne se remet en question, moi le premier bien sûr. Là où on est aujourd’hui, c’est parti au mois de janvier en Calabre, où on n’a pas eu une préparation idéale, ce qui a entraîné des mauvais résultats et une mauvaise ambiance. Finalement, je me trouve dans la situation où je n’ai plus qu’un grand Airbus, où il n’y a plus de kérosène. Effectivement, ce n’est pas en changeant de pilote que je règle les problèmes. Quand il n’y a plus de kérosène, l’avion va se «scratcher» si tu veux.
Pour rester dans l’aéroportuaire, si le pilote c’est l’entraîneur, vous vous êtes quoi?
Moi je suis dans la tour de contrôle, en pratique. Tu donnes tes lignes, tu donnes tes directives. Mais si dans la tour de contrôle tu te trompes de casting, ça n’aidera pas forcément l’avion. Mais dans le résultat, sur le terrain, ce qui fait le classement réel, ce sont le staff et les joueurs. L’opérationnel sportif, ce sont eux. Toi t’es uniquement là pour mettre en place les gens.
Donc votre degré de responsabilité est grand dans la trajectoire du coucou…
Si tu veux… (Soupir, pause). Si je pars de ce camp d’entraînement, faire plaisir à Rino (Gattuso), ce n’était pas une bonne idée. On est allé là-bas en octobre, on y a vu des gens très agréables, des bons terrains. On est encore dans le soleil de l’Italie. Trois mois plus tard, il y a de la terre battue, de la neige, des heures de car à se faire. L’entraîneur doit faire courir son équipe sur du synthétique, où tu charges des types et tu bousilles le genou de Xavier [Margairaz]. Alors on me dit ça va bien, machin, les histoires, mais vu de ma tour de contrôle, je vois qu’on est déjà dans une spirale négative. A partir de là, l’entraîneur [alors Victor Muñoz] ne prépare pas le match de reprise contre Bâle, il s’attache à certains joueurs et le groupe se retourne un petit peu contre lui. Je les ai laissés fonctionner, en leur disant «écoutez, puisque c’est ce que vous souhaitez faire, allez-y…» Ils l’ont fait, un peu selon les principes du Parti communiste italien, notamment. Et ça m’a amené 0,9 point par match. Tout se dégrade et va du mauvais côté.
Vous ne vous sentez pas proche du Parti communiste italien?
C’est pas que je me sente proche ou pas. La chance d’être joueur, c’est que tu peux ne jamais te remettre en cause. Dans un groupe, tu peux toujours te cacher derrière autre chose que ton implication personnelle pour justifier une défaite. Le sport professionnel, c’est des individus dans une collectivité. Quand ça va bien, alors le joueur peut bomber le torse, il a la force de l’individu. Quand ça va mal, c’est la faute à l’autre. Le mécanisme de ce sport-là fait que la défaite est difficile à attribuer à un seul type ou une seule raison. Il y a une multitude de raisons. C’est plus sournois qu’un truc où tu peux diagnostiquer en disant «t’as fait 9’8 sur 100m».
L’individu, donc l’être humain, qu’il soit footballeur, plombier ou architecte, possède en général un cerveau, un coeur et des tripes. N’arrivez-vous pas à comprendre qu’aujourd’hui, après tout ce qu’ils ont vécu, vos joueurs-employés puissent être brisés?
J’ai une grande compréhension pour ça. Mais aujourd’hui, ils sont brisés par quoi? En ce qui concerne ma relation avec eux, ça fait plus ou moins un mois et demi que j’ai laissé faire. J’ai eu deux fois deux minutes de discussion avec eux, parce qu’ils avaient fait preuve d’une oisiveté qui agaçait tout le monde. Les matches, je n’allais même pas forcément les voir, je les regardais à la télé. Donc si tu veux, je ne vois pas en quoi les types pourraient être brisés, si ce n’est par les résultats sportifs, dont je ne peux pas dire qu’ils ont été brillants, évidemment.
Avec l’agitation, le manque de confiance voire de respect qui règne au club, on peut comprendre que les joueurs soient cassés, non?
Il y a pouvoir et vouloir, on est d’accord. Quelle est la qualité réelle de cette équipe?
On ne saura jamais, personne n’a jamais eu le temps de travailler avec…
Quand je pose cette question, je pense à ce que me dit Rino: «Te casse pas la tête, cette équipe a la qualité pour faire 12 points par tour.»
Avec tous ces internationaux, on ne peut pas être d’accord avec ça…
Je ne te dis pas que je suis d’accord avec ça, je te dis ce que Rino me dit. Ok. Donc tu peux te poser la question. Ok. Après, tu me dis qu’ils sont minés, d’accord. Moi je regarde les résultats et je vois qu’après 17 matches de championnat, je suis 2e à deux points de la tête – c’est les chiffres. L’analyse, c’est que s’est-il passé cet hiver? Moi, si je fais pas la faute du camp en Calabre et je commence par un nul à Bâle, je suis dans une autre thématique de résultats et je n’en serais pas aujourd’hui avec la mauvaise ambiance qui nous occupe.
La Calabre, c’est LA faute?
C’est une des fautes. J’ai un résultat jusque là et après, j’ai une cassure. Si je continue au printemps comment on était en automne, je n’en suis pas à ce point-là.
Vous dites fautes au pluriel. Quelles sont les autres?
Non, j’ai dit «ma faute».
Euh… d’accord. Donc c’est la seule?
Non, je n’ai pas dit ça. Mais si tu me poses la question, je dis que oui, sur cet hiver, qui est une phase importante dans notre championnat, j’ai fait une grave faute en n’offrant pas une préparation de qualité à l’équipe.
Vous n’êtes pas près d’avouer vos fautes…
Non mais des fautes, des fautes… Après il y a le cumul d’une équipe pas prête physiquement, pas organisée dans le jeu, avec un entraîneur qui se cherche par rapport à tout ça. Il y a eu un gros tas de détails pas réglés, ce qui fait qu’à la fin tu as une machine qui périclite.
Ce matin, au réveil, vous étiez tristesse ou colère?
Je n’ai ni tristesse, ni colère. Aujourd’hui je ne peux pas aller dire que les résultats, ce n’est pas de ma faute. Si je mets en place un groupe qui n’a pas les caractéristiques que je voulais avoir, c’est de ma faute. C’est moi qui signe tous les contrats. Si les garçons ne veulent ou ne peuvent pas donner plus que ce qu’ils ont, c’est de ma faute. Tu peux faire ou des bons ou des mauvais choix. Jusqu’à Noël, je t’aurais dit c’était pas mal. Sur ce printemps, c’est moins bien. Mon équipe n’a pas tenu la saison, voilà.
Voir votre gardien letton Andris Vanins, d’habitude si maître de ses émotions, prendre son coéquipier Benjamin Kololli au collet, craquer puis quitter le terrain en pleurs, c’est le signe d’une ambiance très tendue…
Pour un gardien de but comme Vanins, c’est affreux. Chaque fois qu’un ballon arrive sur le but, c’est goal. A la limite, il relâche le 4e l’autre soir contre GC mais le reste, c’est goal à chaque fois sans qu’il n’y puisse rien. C’est normal qu’il y ait une frustration. Comme gardien, quand ton boulot c’est d’aller chercher le ballon au fond du but, c’est pas sympa.
Et maintenant, que faire?
Quand le FC Sion perd, il y a un canton qui souffre, il ne faut pas se faire d’illusions – quand il gagne, il y a un canton qui trouve ça plutôt normal. Ce match de samedi contre Thoune nous donne une chance de qualification européenne. Si on finit européen et en demi-finale de la Coupe, c’est pas si mal.
Mais ça ne répond pas du tout à la question…
Soit tu dis écoute, on fait plus rien du tout, on laisse aller les choses de la sorte, où les gens ne veulent pas courir, pas sauter et pas se faire des passes; soit tu essaies de sauver absolument ce qui doit l’être. Et nous, le style de la maison, c’est plutôt ça. Donc c’est évident qu’il nous faut une équipe samedi pour rentrer sur ce terrain, et qu’elle soit debout. Parce que là, quand l’arbitre siffle le début du match, le toto-mat peut quasiment marquer un but pour l’adversaire. Hier soir c’était quoi, 1’40? Il faudrait déjà que l’équipe soit là: à Saint-Gall, c’était la même chose. On est dans la situation où il faut remettre une équipe debout.
Oui mais comment?
Ouais c’est une équation pas simple, hein… (Sourire). Au moment où je te parle, j’imagine certaines choses, il n’y a pas de raison d’aller brader. Mais pouvoir inverser la situation maintenant, ce serait un vrai miracle. On doit travailler à rendre la chose possible.
Michel Decastel, abattu et on le comprend, sera-t-il sur le banc samedi?
Je l’ai eu hier soir au téléphone, puis ce matin. C’est clair qu’il souffre parce que comme tous les entraîneurs du monde, il met beaucoup d’implication et d’énergie. Il souffre parce qu’il n’arrive pas à faire du foot.
Sera-t-il sur le banc samedi?
En l’état, c’est lui qui donne l’entraînement ce matin. Il ne m’a pas dit qu’il ne le faisait pas. Mais il souffre, oui.
L’entrée gratuite au stade, c’est une opération rachat auprès du public?
Rachat de quoi?
Ben rachat d’une conduite, un peu, avec tous les troubles qu’il y a eus. Les gens risquent de se détourner du club, non?
Quand on n’a pas de résultats, ne te fais pas d’illusions, les gens ne viennent pas. C’est partout comme ça, ici ou ailleurs. C’est la réalité du foot. Avec les résultats qu’on a et ce qu’on présente, très franchement, pour les gens, c’est pas drôle. Ils ont vu deux victoires à Tourbillon en une dizaine de matches. Je n’ai pas de plaisir à voir perdre mon équipe, je comprends qu’ils n’en aient pas non plus.
En dehors des résultats, il y a quand même les valeurs, l’identité d’un club. Ça compte, non?
L’appartenance à un maillot, elle est fortement dépendante d’un résultat. Les gens se sentent plus forts et font plus d’efforts quand l’équipe marche.
Quand les supporters demandent «la tête du roi», quand les affichettes du «Nouvelliste» parlent de «honte d’être valaisan», ça vous touche ou vous indiffère?
Dans cette activité-là, je suis mieux quand l’équipe gagne. Mon problème, c’est comment peut-on encore sauver ce qui doit l’être? Je vis avec un problème à régler. Mais ce n’est pas un type avec une banderole ou un encart de journal qui vont me donner la solution.
Mais ça vous fait mal?
De quoi, une banderole?
Non, le désamour.
La situation ne me fait pas plaisir. Après, qu’ils crachent sur moi… Je m’en fous.
On a du mal à le croire.
Je m’en fous. Le type qui ne regarde pas ce qui se passe sur le terrain et qui dit que c’est la faute du président, à la limite si tu veux, c’est bon pour l’équipe. C’est pas quelque chose qui me touche, je ne fonctionne pas à ça. Je fais mes choses. Après, forcément que je me trompe: il n’y a que ceux qui ne font rien qui ne se trompent pas.
A quoi vous fonctionnez?
Moi je fonctionne à assumer des responsabilités. Là, j’ai des joueurs où j’ai rien au bout. Rien. Et c’est avec eux que je dois continuer. Il ne faut pas se faire d’illusions: avec la saison qu’ils font, les mêmes joueurs n’auront pas d’offres pour aller ailleurs. Donc en pratique, ils m’accompagnent, c’est leur métier… Je pense quand même qu’on a un intérêt commun à sauver cette Europe. Ce ne serait pas une saison exceptionnelle, mais bien.
N’avez-vous pas l’impression qu’ils jouent contre le président?
Peut-être qu’ils jouent contre le président.
Qu’est-ce que ça vous inspire?
Ben ça m’inspire que je paie des types qui jouent contre moi, voilà. C’est la vie du monde, c’est la réalité. (Il rigole). Chacun est l’homme qu’il doit être. Moi je suis un homme qui voit et qui comprend les défauts de l’être humain. Depuis que l’être humain est humain, la trahison existe. Judas, je crois qu’il arrive quand même assez vite dans la Bible. Après t’as Jules César avec Brutus, enfin il y a assez d’histoires pour savoir que la trahison existe.
C’est une fatalité?
Les gens qui arrivent à ne pas trahir, à ne pas être jaloux, à avoir toujours envie, qui arrivent à assumer leur parole, ce sont des gens qui entrent plutôt dans l’exception que dans le commun des mortels.
Vous en faites partie?
J’ai toujours dit et assumé ce que je faisais.
Vous êtes capable d’expliquer une à une toutes vos décisions. Mais si on considère le tout avec du recul, comment justifier tout ce bordel?
Quand je prends Rino à Milan, il me dit «tu sais, je ne suis pas Pirlo». Moi je lui dis «mais Rino, je ne veux pas Pirlo, je veux Gattuso, pour amener la «gnaque» qu’il faut». Quand je le prends, le staff médical du Milan me dit que son problème d’oeil est réglé, pour autant qu’il suive le traitement nécessaire. Là-dessus, à l’automne, les médecins décident d’alléger le traitement de manière trop forte, donc lui il a des séquelles. Ce n’est plus le même Rino. Je me suis beaucoup appuyé sur lui. Je lui ai fait faire du Pirlo, parce que c’est lui qui prenait le ballon, machin… Je lui ai fait faire du Ancelotti, parce que c’est lui qui a fait presque l’entraîneur… Je lui ai fait faire du Moggi…
Quoi? Vous avez acheté des arbitres?
Non, pas encore. Mais il allait même chercher la carte jaune dans la poche de l’arbitre à YB, donc il a fait du Moggi. Je lui ai même fait faire du Berlusconi, parce qu’il a représenté le club dans beaucoup de situations. Et je lui ai fait faire du Alitalia avec le voyage en Calabre. J’aurais dû lui dire de faire que du Gattuso. Apporter son expérience, son énergie, sa force. C’est une erreur que j’ai faite.
Avec du recul, Gattuso, c’était une fausse bonne idée? Il est le chef du vestiaire, or, quand on voit l’état du vestiaire…
Ce n’est pas un garçon qui intriguera pour obtenir des avantages. En réalité, moi, j’étais plus supporter de Gattuso que président de Gattuso. Il n’aurait pas dû sortir du rôle de grand champion, c’est de ma faute. Je me suis appuyé sur lui, je me suis un peu retiré…
Vous vous sentez trahi par vos joueurs?
Trahi… Le club est une affaire dans mes affaires. Donc on ne me trahit pas moi, on trahit le club et ce qu’il représente. Non, je ne me sens pas trahi. Je n’en veux pas à mes joueurs. Ils sont comme ils sont. Si Arnaud (Bühler) rate dix de ses douze premières passes, je ne peux pas lui en vouloir. Mais ça serait assez sympa si on pouvait faire mieux, voilà.
Et vous, vous n’avez pas l’impression de trahir les valeurs de ce canton et les abricotiers de votre enfance, dont vous nous parliez un jour avec émotion?
Tu trahis quand tu fais des choses contraires aux intérêts de la cause que tu défends. Moi je fais des choses basées sur un raisonnement dont on espère qu’il améliorera les choses. Mais ça veut pas dire qu’on ne fait pas de fautes. On vit une saison compliquée, comme on en connait parfois dans le foot. Encore que j’ai connu pire: là, je peux encore travailler à la 4e place du championnat de 1re division. Non, cette saison, elle est merdique parce qu’on n’a jamais joué au foot.
Cela va-t-il vous permettre de tirer une leçon par rapport à votre mode de gestion?
Je constate que j’ai de meilleurs résultats quand je suis plus impliqué dans le club que cette saison, où j’ai laissé les choses un peu faire.
Changer cinq fois d’entraîneur, c’est laisser faire?!? Vous accusiez vos joueurs de tout mettre sur la faute des autres mais vous faites pareil…
Non, tu as mal compris. Oui, j’ai changé d’entraîneur mais avant, j’étais plus proche de lui, j’allais à l’entraînement. Avant, j’étais toujours là à casser les couilles au staff, à tout surveiller Là, non. Après, tu changes d’entraîneur en fonction de ce que les résultats et le groupe te disent. Changer d’entraîneur, ça veut pas dire que tu t’impliques; tu prends une décision. A un certain moment, je me suis trop dégagé de mes responsabilités sportives. J’ai mal fait mon boulot de président. Comme président, tu dois dire comment tu vois les choses, ce que tu veux faire.
Le fait est que personne n’a l’occasion de mettre quelque chose en place…
Celui qui a eu la plus longue période, c’est Rino, et c’est lui qui a eu les plus mauvais résultats.
Oui, mais il arrivait déjà en coach numéro 5.
Non, il n’est pas le numéro 5. Il n’a pas été parachuté là comme ça, il était là depuis le début avec Sébastien (Fournier), il donnait des ordres à Decastel lors de son premier passage.
Qui sera le prochain entraîneur?
Le prochain entraîneur, je n’ai aucune idée en l’état.
Ne craignez-vous pas que plus personne ne veuille le poste ou faites-vous confiance à l’attrait du chéquier?
Mais détrompe-toi. Les entraîneurs ont eu du plaisir à travailler avec moi. Ne te fais aucun souci: le FC Sion aura un entraîneur la saison prochaine.
Et l’effectif? A quel point la saignée sera-t-elle importante?
Des joueurs auront des bons de sortie, c’est inévitable.
On peut avoir des noms?
Non. Après, pour avoir un bon de sortie, il faut trouver des clubs preneurs. Et ça, c’est plus compliqué que ce qu’on imagine dans la période actuelle. C’est le marché qui va dire. Et pour le connaître de l’intérieur, je ne me fais pas d’illusion. A un moment, il y aura des négociations. Tout n’est pas à jeter. Il y a des fois des voitures dont la carrosserie n’est pas en ordre mais si tu changes une aile ça va mieux. Il me faut trois gardiens, vingt joueurs et trois-quatre stagiaires. Et dans les vingt de base, j’espère en avoir quatre ou cinq de ma production propre.
Donc les M21 ce printemps, ce n’est pas un effet de manche? Vous voulez enfin en venir à une vraie politique de formation, qui a d’ailleurs longtemps été l’atout principal du club?
On a repris un travail il y a quatre ans et je commence à en retirer les fruits. Le petit Matteo [Fedele], je lui casse les couilles pour qu’il fasse une carrière. Kololli peut aussi progresser. Lacroix est déjà en avance. Et j’ai des garçons comme Karlen ou d’autres qui ont du volume et du potentiel. Après, les gars n’ont pas 20 ans avant de les avoir. Pour cette génération-là, c’est le moment de la récolte.
A propos de jeunes, avez-vous pensé à lancer votre fils à la tête du club?
(Solennel). Ecoute… Il y a des choses que les gens de 20 ans peuvent faire: courir, sauter, sprinter, jouer… Après, il y a un certain nombre de problèmes que tu ne peux pas régler jeune.
Cela vous a-t-il traversé l’esprit, ne serait-ce qu’une seconde, de tout lâcher?
Je vais t’expliquer la réalité des choses. Le FC Sion est une société anonyme qui m’appartient – ça on l’a bien compris -, avec les avantages et les défauts de cette responsabilité. Si aujourd’hui on dit «allez c****», soyons clairs, on fait une croix sur le club. On renonce et on redescend en 1re ligue.
Mais ça peut se céder une société, non?
Mais ce n’est pas une votation populaire, hein… Sois tranquille: à la fin du mois, quand je dois faire les chèques, il n’y a pas grand-monde dans ce bureau. On va te donner beaucoup de bons conseils, mais pas d’argent pour payer les charges et les salaires. Quand tu es administrateur d’une société, c’est ton problème – demande à Chagaev ou Marc Roger. Si tu veux ta licence, il faut des garanties financières. L’argent, contrairement aux carottes, ne pousse pas dans les champs. Donc tu ne peux pas dire «allez c****».
Ceux qui réclament votre démission ne sont pas près d’être exaucés…
Aujourd’hui, on est dans cette structure-là. Après, les investisseurs étrangers, les types plus intelligents que toi, j’ai déjà donné – on est allé en chercher un au fond de l’Afrique. Il y a eu Kita à Lausanne, Chagaev à Lausanne, Marc Roger à Genève ou d’autres encore au Tessin. Imaginer que c’est une solution, non. Le club doit trouver les moyens nécessaires de faire tourner un budget qui permette au FC Sion de présenter un football de qualité.
Donc Christian Constantin est indispensable?
Je n’ai pas dit ça.
Non, vous dites juste «si je m’en vais, il n’y a plus de club».
Je dis juste que je connais mes responsabilités. J’ai déjà mis les capitaux nécessaires pour la couverture du budget de la saison prochaine. Une banderole qui te demande de partir, ce n’est pas un chèque bancaire.
Vos joueurs gagnent-ils trop?
En comparaison, des joueurs à Thoune, qui gagnent bien moins que les miens, sont 1 point derrière nous. C’est vrai que le ratio somme dépensée/rentabilité n’est pas suffisant par rapport à Thoune. On fait des efforts pour bien payer nos types, oui. Maintenant, si tu me demandes si je suis content du retour que j’ai, je te dis non.
A la fin du bal, les musiciens seront-ils payés?
Mais les musiciens, t’es obligé de les payer. Dans l’absolu, il y a des fois où j’ai plus de plaisir à signer leur fiche de paie que d’autres fois, c’est évident. La seule certitude, c’est qu’ils sont toujours payés.
N’êtes-vous jamais fatigué par tout ça?
Comment t’expliquer… Tu sais très bien qu’on ne vit qu’une fois. Alors autant avoir des centres d’intérêt. Dès que les types prennent leur retraite, on voit bien qu’ils peuvent commencer à creuser leur tombe. Donc pendant que tu as des problèmes à régler, des passions à assouvir et des envies à développer, ta vie est forcément plus sympathique. Ce qu’on a aujourd’hui, finalement, c’est du théâtre. Tu as des types qui gueulent parce qu’ils ne sont pas contents, d’autres qui boudent…
Pourriez-vous vous passer de ce théâtre qu’est le FC Sion?
Oui, à condition que je me trouve une autre passion. C’est aussi à mettre en relation avec ton âge. Il y a peut-être un moment où j’aurai envie de me mettre au golf.
Et, ça vous démange?
Moi, j’aime bien ma vie. Si tu me demandes si je suis lassé, je te réponds qu’il n’y a aucune trace de lassitude. Non, je n’ai pas ça en moi. J’ai peut-être une saison et demie de m**** sur quatre mais sinon, c’est plutôt bonnard. Le pire de tout, c’est que j’aime bien ces situations compliquées. Au fond, je ne sais pas si c’est le FC Sion ou les emmerdes sempiternelles dont j’ai besoin.
Donc, vous faites exprès de semer le souk?
Non, ce n’est pas juste. Si je pouvais tout gagner, je choisirais cette voie-là.
Vous, si bon dribbleur, grand-pont, petit-pont, crochet, contre-pied, débordement… Pourquoi n’iriez-vous pas défier les Thounois sur le terrain pour leur enfiler quelques coups du sombrero?
Et toi, tu joues au foot? Il faut qu’on aille faire un tennis-ballon un de ces jours. A nos âges, c’est mieux, comme ça on ne va pas se blesser.
(Photo Lafargue)
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