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Traite des footballeurs africains

Posté : 05.06.2008 15:56
par Snake73
Afrikara a dit

La Traite des Footballeurs Africains : La Jeunesse Décimée du Continent Noir

De tous les pores, ports et toutes les portes d’Afrique s’éjectent chaque jour en un flux ininterrompu des centaines de jeunes, forces vives, talentueux, plus ou moins aventuriers, pour la mythique destination de la gloire sportive en Europe. Cette saignée abyssale qui laisse indifférents les dirigeants politiques, répond à la désolation matérielle organisée par la phase actuelle du capitalisme prédateur qui fait miroiter le luxe par la démocratisation de l’image en réprimant dans les servitudes les masses les moins préparées à vouer le meilleur culte au règne de l’argent, du pouvoir. L’Afrique, le Football, le Profit, un triptyque infernal sur l’autel duquel des innocents sont brisés par générations entières, emportés par leurs rêves, par la rationalité productiviste de l’économie ultra libérale du sport.

Les familles, largement dépassées par un problème au moins continental, leur autorité ayant fondu avec leurs capacités d’influence économique, sont prises entre crainte viscérale et espoir spéculatif que le fugitif sera celui qui réussira sur les dix milles qui resteront sur le tapis.

De l’autre côté de la chaîne, le mécanisme d’attraction et d’exploitation est huilé. Les agents véreux, sans états d’âme, font venir en Europe par tous les expédients des jeunes prometteurs, placent ceux qui ont la chance de forcer une porte dans un club professionnel et abandonnent les autres dans la nature. Des milliers sont jetés dans l’errance des grandes villes occidentales où ils se constituent dans une société de «Sans». Sans-papiers, Sans logement, Sans emploi, Sans famille, Sans ressources matérielles, … au vu et au su des gouvernements africains et occidentaux. Ces déchirures sont insoutenables mais demeurent invisibles, rentrées dans des recoins que l’on préfère maquiller ou taire. Personne, à commencer par les victimes, ne sera bien loquace dans cette filière d’échec qui consacre la ruine d’un espoir, d’une vie…

Pourtant à chaque cause ses effets, et ces humanités que le système du Foot Business corrompt et détruit au contact de la pauvreté endémique africaine aura tôt au tard de très graves conséquences sociales et sociologiques en Afrique et en Europe.

La haine, l’envie, la socialisation au cœur de lieux de non droit favorise l’émergence de contre-cultures où le crime comme la loi n‘ont pas beaucoup de sens. Et des êtres doués de talents et d’une énergie qui auraient du profiter à tous risquent de ne savoir que détruire ou parasiter les sociétés de leur résidence ou de leur nationalité. Seul un continent qui tourne le dos à son avenir peut se désintéresser durablement de l’exode sauvage et de l’abattage en règle de sa jeunesse, …Nepad ou pas.

L’initiative de l’association Culture Foot Solidaire de prendre à bras le corps ces problèmes mérite plus qu’une salve d’encouragements. Afrikara.com publie à cet égard un article tiré de L’Humanité [Article paru 30 décembre 2003], donnant la parole aux promoteurs de cette injection d’éthique et de solidarité dans le sport, dans le football et dans la vie déboussolée de nombreux jeunes en cours de décimation.

Rêves de foot européen, cauchemars d’enfants africains

Maurice-Alexandre Bontinck

Jean-Claude Mbvoumin a accompli le rêve de tous les enfants d’Afrique : être footballeur professionnel en Europe. D’autres n’ont pas cette chance et se retrouvent abandonnés sans argent, sans papiers sur les trottoirs européens. Abusés par des " agents " peu scrupuleux. L’ancien international camerounais consacre l’essentiel de son énergie à récupérer ces enfants de la balle devenus des gamins perdus.

" Je m’appelle Elvis, j’ai dix-huit ans, je suis footballeur. Seulement, je passe des moments difficiles et ma vie n’est qu’une suite d’échecs. Depuis deux ans, je tourne en rond en France, croyant avoir trouvé la solution après avoir rencontré Jacky M, un agent de joueur qui me promettait un club fiable au cas où ma famille et moi signerions un contrat avec lui. " Jean-Claude Mbvoumin garde précieusement les dizaines de lettres qui lui parviennent. Des dizaines de lettres mais une histoire toujours identique. Deux cent dix adolescents africains ont échoué devant sa porte depuis 1998 et son arrivée en région parisienne. Aveuglés par le mirage qu’est devenu le football européen. Abusés par des " agents " leur vendant du rêve au prix fort. " Mon agent, Jacky M, n’a jamais tenu sa promesse. Pourtant, j’ai fait des essais dans des clubs tels que Châteauroux, Amiens, Guingamp. Quand je lui ai demandé d’être plus clair concernant ma situation, plus de nouvelles ! J’appelais sans cesse, mais personne ne voulait me répondre. " Livrés à eux-mêmes, la plupart du temps mineurs, Elvis et les autres arrivent brisés. Jean-Claude Mbvoumin tente de recoller les morceaux. Avec les moyens du bord.

En décembre 2000, l’ex-international camerounais crée tout seul son association Culture foot, pour lutter d’abord contre " ce véritable drame humanitaire qui se déroule à notre porte ". Des situations d’urgence pour des jeunes de 14 à 23 ans dont le nombre est difficile à évaluer mais qui ne cessent de grandir. " Les enfants mais aussi les parents voient dans le football en Europe un moyen de gagner l’argent qu’il n’y a pas au pays. Alors quand un agent fait miroiter à toute une famille que leur enfant peut devenir le nouveau Drogba ou le nouveau Diouf... " La médiatisation des stars africaines en Europe, la bonne tenue des équipes du continent dans les compétitions internationales, renforcent cette illusion.

Depuis peu, il a ajouté le terme " solidaire " au nom de son association parce que " la misère, la pauvreté, l’intolérance ne sont pas une fatalité, à condition que nous soyons tous conscients de ces inégalités pour mieux les combattre ". L’action de Culture foot solidaire en France, c’est l’aide à l’intégration des jeunes footballeurs africains, la mise en place d’opérations de prévention et d’éducation à la citoyenneté. C’est aussi l’établissement de passerelles éducatives, sportives et culturelles avec l’Afrique.

Dès son arrivée en France en 1994, Jean-Claude Mbvoumin prend sous son aile les jeunes Africains qui tentent leur chance en Europe. Pour rendre un peu de ce que le foot lui donne. " Je ne sais faire que ça. Sans le foot, je serais certainement dans une geôle à Yaoundé. " Mais à cette époque, il peut se contenter du rôle de " grand frère ", soutien logistique, affectif et sportif pour des jeunes en mal du pays. Professionnel en France, à Beauvais puis Dunkerque, " Lion indomptable " de la sélection camerounaise aux côtés de Roger Milla ou du regretté Marc-Vivien Foé, l’enfant de Yaoundé nage en plein bonheur. Jusqu’à l’été 1997, à un an de la Coupe du monde en France. Une grave blessure au pied l’oblige à quitter le monde pro pour se relancer chez les amateurs. Il atterrit un an plus tard dans le petit club de Sannois-Saint-Gratien (Val-d’Oise). Malgré tout, le sportif âgé aujourd’hui de trente ans se sent " toujours un peu privilégié ". Car, entre-temps, il s’est mis à sillonner la région parisienne, alerté par les cas de plus en plus nombreux de jeunes apprentis footballeurs " laissés à la rue, qui ne pouvaient pas se soigner, trouver un endroit où dormir ".

Dans son petit cahier de brouillon qu’il ne quitte jamais, il noircit les pages de numéros de téléphone, de prénoms d’enfants venus de toute l’Afrique francophone, mais aussi d’agents peu scrupuleux contre lesquels il ne peut rien faire. Le grand frère devient le dernier refuge pour Elvis, Moussa, Boris et les autres. Une dernière bouée de sauvetage avant de sombrer dans la délinquance. " Je me rappelle de Cyril, un jeune Ivoirien. Il m’avait appelé à une heure du matin pour me donner rendez-vous devant la gare d’Argenteuil. Il était tombé dans un coup tordu et tentait de me revendre une grosse berline qu’il avait achetée 20 000 francs. Devant mon refus, il est reparti avec les gars qui l’accompagnaient. Malheureusement, je n’ai plus jamais réussi à le retrouver... " Les anecdotes dramatiques se multiplient comme autant d’étapes d’une descente aux enfers programmée. Alors, Jean-Claude tente de les rattraper parce qu’" il faut bien que quelqu’un le fasse ". Comme pour ce footballeur camerounais sans papiers " atteint de tuberculose à force de travailler dans les chambres froides mais qui n’osait pas aller à l’hôpital, par peur de la police ".

Question de survie pour eux. Question de solidarité pour lui. " Rapidement, je me suis demandé dans quel engrenage j’avais mis les pieds mais je ne pouvais plus reculer. Il faut maintenant leur permettre de se stabiliser enfin, de leur trouver des alternatives au football. Et nous devons profiter de ce dénominateur commun, le foot, parce qu’il est malgré tout un formidable outil d’éducation. " Alors, Jean-Claude ne compte plus son temps et son argent même si depuis trois ans, une quinzaine d’autres militants sont venus l’aider. En septembre dernier, une antenne de Culture foot solidaire a été créée à Lyon. Cette année, il ne profite pas de la trêve hivernale pour prendre des vacances. Sa femme et ses deux enfants sont partis se changer les idées, mais lui ne veut pas laisser ses enfants perdus. " Ils ont trop besoin de moi. "

Entre ses deux entraînements quotidiens, il profite du stade adossé à sa maison de Sannois pour monter des entraînements aux allures de soutien psychologique. Souvent, il héberge l’un de ces jeunes ou lui trouve un toit chez un ami. Mais cela reste précaire. Leur suivi est difficile. Jean-Claude a retrouvé Albert par hasard, il y a quelques jours. " Je suis allé faire un essai en Espagne, mais ça n’a pas marché ", lui a-t-il simplement précisé. Actuellement, 45 jeunes sont répertoriés par Jean-Claude. Sans logement fixe, sans papiers, sans argent, et s’accrochant toujours à leur rêve d’enfant de la balle.

Pas question d’envisager un éventuel retour au pays pour ces enfants qui portent comme un fardeau tous les espoirs de leur famille. " La plupart ne peuvent pas, de toute façon, se payer le billet de retour. Et l’échec serait vécu par eux comme une énorme humiliation. Ils seraient livrés à la vindicte familiale et populaire. Alors, ils restent, même s’il s’agit maintenant de survivre. " Une survie difficile : 98 % des jeunes qui se présentent à Culture foot solidaire n’ont pas de papiers et les clubs ne prennent évidemment pas le risque d’engager un joueur en situation irrégulière. En Afrique, la notoriété grandissante de Jean-Claude lui confère également le statut de dernier espoir pour certaines familles. " J’ai reçu le mois dernier le mail d’un papa inquiet de ne plus avoir de nouvelles de son fils depuis deux ans. Il n’avait qu’un vague numéro de téléphone ne répondant plus. "

Rapidement, Jean-Claude s’est rendu compte que l’essentiel de sa mission devait se faire en Afrique, avant qu’il ne soit trop tard. Pour faire connaître ce qui se passe en France et faire réfléchir à deux fois avant de répondre aux sirènes du professionnalisme européen. " Au Cameroun, par exemple, le foot est devenu une activité industrielle. Des gens répertoriés nulle part, inconscients et attirés par l’argent facile, se lancent dans la formation ". Lui, lance un programme de " prévention globale ". Le 23 juin 2001, il crée une académie Culture foot regroupant une centaine d’enfants déscolarisés à Kribi dans le sud du Cameroun. L’objectif n’est pas d’en faire une pépinière de futurs joueurs pro. " Nous voulons donner la possibilité aux jeunes joueurs les plus tentés par l’expatriation aveugle de pratiquer le foot dans de meilleures conditions, tout ceci selon un programme d’éducation par le sport. "

Mais les moyens manquent et Jean-Claude a recourt au système D. En l’absence de subventions, il déniche des équipements auprès des clubs ou achète lui-même les ballons. Heureusement, son action commence à être reconnue. D’abord par les personnalités du foot et du show-biz qui répondent à son appel lors de la première journée du foot solidaire le 1er juin dernier à Sannois-Saint-Gratien. Les instances du football français, qui ont longtemps fermé les yeux sur ces pratiques, s’y mettent à leur tour. Le directeur technique national, Aimé Jacquet, le recevra le 9 janvier. Jean-Claude Mbvoumin présentera son projet de " réseau éthique du foot solidaire ". Pour que les clubs, professionnels comme amateurs, s’associent concrètement au combat inégal livré par Culture foot solidaire. Pour que les dernières lignes de la lettre d’Elvis soient enfin entendues. " Si la main tendue me donne moral et affection, je suis sûr que ça ira mieux ! Un grand merci ! "
L'article date déjà de 2005, voire avant pour l'article de L'Humanité, mais rien ne semble changer sous le soleil du foot business car je crois que ni la FIFA ni l'UEFA ne se sont véritablement penché sur le problème.

Le but de mon topic est juste de connaître votre opinion sur le sujet en sachant que les clubs suisses sont de très bons clients de ses agents mafieux.

Posté : 06.06.2008 15:00
par nufc
Footballeurs africains, la grande spéculation

SPORT. Raffaele Poli a étudié le marchandage auquel se livrent les clubs européens.

Annie Yeromian, Vendredi 6 juin 2008

Les footballeurs originaires d'Afrique subsaharienne font l'objet de «spéculations» en Europe: les clubs les recrutent non pas pour les garder à long terme, mais plutôt pour tirer les bénéfices de leur transfert à la première occasion qui se présente. C'est la conclusion à laquelle est arrivée Raffaele Poli, l'auteur d'une thèse en géographie déposée en mai à l'Université de Neuchâtel.

Le doctorant a mis en exergue les «chaînes de valeurs ajoutées» qui se créent lorsque les jeunes footballeurs circulent entre les clubs européens. La première étape est l'achat des joueurs par des clubs européens de taille moyenne, pour souvent moins de 100000 euros (161000 francs). A l'autre bout du parcours, et en seulement quelques années, ces derniers peuvent empocher des dizaines de millions de francs en cédant les footballeurs aux clubs les plus riches de la planète, comme Chelsea, Real Madrid ou Barcelone.

Des succès rares et brefs

Le parcours des 25 joueurs d'Afrique subsaharienne présents dans les clubs de Premier League anglaise en 2005-2006 a été analysé par l'auteur. L'exemple type d'une «trajectoire ascendante» est celui de Michael Essien, le joueur africain dont le transfert a été le plus coûteux de l'histoire du football. Originaire du Ghana, il a été repéré en 1999 par Manchester United. Sur les conseils de son agent, le footballeur a refusé l'offre des Anglais et a signé un contrat avec Bastia en 2000. En 2005, le club londonien Chelsea a payé 38 millions à l'Olympique Lyonnais pour l'enrôler. Son passage dans les clubs français a réussi à gonfler sa valeur ajoutée.

Mais ce genre de cas est une exception, explique Raffaele Poli, puisque plus de 90% des joueurs étrangers qui arrivent en Europe ne réussiront pas à se hisser jusqu'aux clubs les plus riches. Les Africains sont ceux qui y arrivent le mieux: 14,8% des joueurs africains présents au premier niveau de compétition de 14 pays européens en 2002-2003 jouaient dans un club de niveau supérieur en 2006-2007. Mais pour 58% d'entre eux, c'est une «trajectoire descendante» qui les attend sur le sol européen, contre 55,8% pour les étrangers d'autres origines. La moindre stabilité de ces jeunes joueurs est causée par la «spéculation» des recruteurs: leur «bon rapport qualité-prix» rend leur commerce intéressant. En 2005-2006, la durée de permanence moyenne des joueurs africains jouant dans les cinq principales ligues européennes était de 1,93 an, contre 2,19 pour les étrangers de toute origine et 2,84 pour les nationaux.

De plus, le taux «d'éjection» du circuit du football professionnel des joueurs africains est le plus élevé parmi les étrangers: 28,7% pour les Africains contre 13,3% pour les autres étrangers. Par conséquent, l'âge moyen des joueurs africains en Europe est de 23,5 ans contre 26,3 pour les autres pays: la «valeur marchande» du joueur africain diminuant avec l'âge, les clubs et agents préfèrent les «libérer» pour engager des joueurs (africains) plus jeunes. Ils poursuivent ainsi une «stratégie» marchande, qui tire profit des différentiels de richesses entre les pays, et entre les clubs.

[Le Temps 2008]