[Petits clubs] 2 exemples
Posté : 08.10.2008 08:58
Hoffenheim, la colline aux miracles
FOOTBALL. Le village de 3300 habitants est deuxième de Bundesliga, l'année même de sa promotion fulgurante. Reportage.
Alain Constant, Hoffenheim, Mercredi 8 octobre 2008
De solides maisons aux façades de couleurs vives, un bar, trois boulangeries, une charcuterie, la pizzeria Mira-Lago et, perché sur la colline, un petit stade. Bienvenue à Hoffenheim, village d'un peu moins de 3300 habitants situé dans le sud-ouest de l'Allemagne, au cœur du Bade-Wurtemberg.
Depuis le mois d'août, ce minuscule bourg sans charme particulier ni vie sociale palpitante fait pourtant la une des médias allemands. La raison en est simple: le club local du TSG Hoffenheim 1899, inattendu promu en Bundesliga, représente la plus petite agglomération de l'histoire du célèbre championnat allemand. Et, il occupe la deuxième place du classement.
Loin des géants de Munich, Hambourg ou Berlin, sans passé footballistique prestigieux, le «club des bouseux», comme le surnomment avec dédain des supporteurs du puissant voisin Stuttgart, est en train de vivre une aventure peu commune.
Pour être tout à fait juste, le club d'Hoffenheim ne représente pas seulement le minuscule village du même nom mais également la ville voisine de Sinsheim et ses 50000 habitants. Une petite route mène de l'une à l'autre et le siège social du club, d'une modestie rare, est construit à l'ombre de la station-service, juste à la sortie d'Hoffenheim.
En reprenant l'autoroute A6, à la sortie de Sinsheim, une vision étonnante s'offre au conducteur-visiteur. Sur un gigantesque chantier s'activent des dizaines d'ouvriers et la poussière vole derrière le va-et-vient des camions. Déjà bien avancés, les travaux d'un splendide stade de 30000 places doivent s'achever en janvier.
En attendant d'emménager dans cet écrin, les joueurs d'Hoffenheim disputent leurs premières rencontres de Bundesliga «à domicile» dans le Carl-Benz Stadion de Mannheim, situé à une cinquantaine de kilomètres. «Nous avons passé un accord avec les chemins de fer allemands. Tous les supporteurs détenteurs d'un billet pour les rencontres à domicile peuvent voyager gratuitement à bord des trains pour aller à Mannheim et revenir à Sinsheim les jours de match», souligne Markus Sieger, responsable de la communication du club.
Si Hoffenheim, qui évoluait encore en cinquième division il y a huit ans, se retrouve aujourd'hui parmi l'élite, c'est essentiellement grâce à la fidélité et à la générosité d'un homme qui, depuis dix-huit ans, accompagne le club de son enfance. Milliardaire ayant fait fortune à la tête de la grande société d'informatique SAP, Dietmar Hopp met la main à la poche dès qu'il le faut. «Lorsque le club est monté en troisième division, je m'étais fixé cinq ans pour qu'il rejoigne la Bundesliga. Cela n'a pris que deux ans», rappelait-il dans les colonnes du Frankfurter Rundschau. On estime à 150 millions d'euros les dépenses effectuées depuis dix-huit ans par le mécène pour son club chéri. La construction du futur stade lui coûte 50 millions d'euros, mais rien n'est trop beau pour les bleus et blancs d'Hoffenheim 1899.
«Contrairement à ce que disent ses détracteurs qui estiment que ce club ne génère aucune passion sincère, Hoffenheim est devenu un vrai club populaire», souligne un journaliste allemand. Cette saison, ils sont 14000 abonnés et les rencontres à Mannheim ont lieu devant 26000 spectateurs de moyenne. Toutes les villes et villages de ce coin du Bade-Wurtemberg soutiennent le petit club, propulsé dans la cour des grands.
L'argent de Dietmar Hopp n'a pas seulement permis de faire venir de jeunes joueurs prometteurs et un entraîneur de qualité, Ralf Rangnick, surnommé le «Professeur». Ancien technicien de Stuttgart et de Schalke 04, il fait des miracles depuis son arrivée, à l'été 2006.
«Notre politique est de faire confiance à de jeunes joueurs», dit-il. Ce n'est pas un hasard si, avec une moyenne d'âge de 24 ans, son équipe est la plus jeune de toute la Bundesliga.
L'argent de Hopp a aussi permis d'offrir des structures performantes. Les équipes de jeunes bénéficient de bonnes conditions d'entraînement à Zuzenhausen, localité située à trois kilomètres d'Hoffenheim. Et pour la première fois de son histoire, le club vient de décrocher le titre de champion d'Allemagne chez les moins de 17 ans.
Si beaucoup d'observateurs prédisaient un calvaire aux promus inconnus pour leur arrivée en Bundesliga, ils doivent aujourd'hui réviser leur jugement. Avec un groupe de jeunes venus d'Allemagne mais aussi du Brésil, du Nigeria, du Sénégal (Demba Ba, formé à Montrouge puis joueur de Rouen) ou de Bosnie (Vedad Isibesic, ancien du PSG), Hoffenheim surprend encore. Le maintien est évidemment l'objectif, en attendant mieux. Mais avec l'argent de Dietmar Hopp, tout est possible.
FC Gretna, du conte de fées au vilain vaudeville
Le petit club écossais était devenu grand, à la grâce d'un mécène prodigue. Il n'est plus.
Christian Despont
Les dernières images montrent un terrain en jachère, étouffé par les herbes folles et surplombé par un pylône rachitique. Ci-gît le FC Gretna, fierté d'une bourgade écossaise de 3000 âmes, connue comme la capitale européenne de l'«express wedding»: cent mariages y sont perpétrés chaque année, le jour de la Saint-Valentin, selon les règlements expéditifs de l'état civil. Les destins y sont enchaînés sur l'enclume du forgeron, en vertu d'une croyance séculaire: Robin des Bois serait arrivé à cheval devant la forge du village, encombré de la belle Marion.
Le FC Gretna est né de cette idéologie romantique selon laquelle, en football également, rien ne vaut les amours coupables de la tradition et du lucre. Las, le club est mort d'avoir trop aimé, ou du moins déraisonnablement, sous l'égide d'un mécène volage et en mauvaise santé. Le 11 mars dernier, David Elliot, ultime administrateur, lançait un appel à la population, relayé par l'ensemble de la presse écossaise: «Nous devons trouver 30000 livres d'ici à samedi, ou nous ne pourrons pas financer notre déplacement à Aberdeen.»
Le bus n'est jamais parti. Au petit matin, huissiers et policiers sont arrivés simultanément devant la mairie du village, à cheval sur les principes: les premiers pour placer le club en liquidation judiciaire, les seconds pour constater une effraction dans ses locaux, d'où avait disparu le lard fumé obtenu à bon prix pour le dernier «breakfast» de l'équipe.
Spectacle sans public
Il y a longtemps que le FC Gretna n'était plus solvable. Promu en première division, lui qui, un siècle durant, mena une vie honnête dans des luttes de sous-préfecture, il n'était qu'un spectacle sans public, une pièce unique sans théâtre: seule une meute efflanquée d'autochtones s'ébrouait les soirs de crachins, dans un stade loué chèrement aux «culs-terreux» de Motherwell.
Le FC Gretna était issu de la troisième division, d'où il a émergé en trois promotions successives, avant d'atteindre la finale de la Cup - perdue aux tirs au but. Cette fulgurance est le fait d'un millionnaire excentrique, Mileson Brooks, 60 ans, élevé dans un quartier malfamé de Sunderland. Son aventure lui a coûté vingt millions de francs. Indifféremment (ou non), l'homme a encore subi deux attaques cardiaques, puis deux opérations à l'estomac.
Le jour du dépôt de bilan, Mileson Brook était alité à son domicile, dans un état jugé critique. Son entourage a expliqué sobrement que «Monsieur ne serait plus en mesure d'honorer les salaires, ni de subvenir aux besoins du club». La brigade fut éconduite sans indemnité.
«Offrez-nous cette terre»
Quelques jours plus tard, le terrain de Raydale Park où, en 1946, Terry et Helen McGregor fondèrent le FC Gretna, fut mis aux enchères pour éponger des créances. Le journal local en appela à la magnanimité de Milson Brook, dans une ultime largesse: «Offrez cette terre aux gens du pays, afin que le club renaisse de ses cendres, et que le football survive dans ces contrées acquises.»
Le millionnaire n'est jamais réapparu, pas même au tribunal où, équipé d'un certificat médical, son avocat a plaidé l'irresponsabilité. Seul un ancien employé du club a joint le mécène sur son lit d'hôpital, après des appels incessants. Une voix à peine reconnaissable a fustigé l'impéritie des administrateurs, puis s'est éteinte brusquement.
Le mois dernier, des supporters et entreprises locales - au nombre desquels figurent de nombreux créanciers - ont donné naissance à «Gretna 2008», avant de le conduire au succès dans un tournoi corporatif du comté. La fédération a accepté une demande d'adhésion à la Ligue de l'Est. L'équipe jouera dans la ville honnie de Annan, en attendant que, peut-être, à Raydale Park, les immeubles poussent moins vite que les herbes folles.
[Le Temps 2008]
FOOTBALL. Le village de 3300 habitants est deuxième de Bundesliga, l'année même de sa promotion fulgurante. Reportage.
Alain Constant, Hoffenheim, Mercredi 8 octobre 2008
De solides maisons aux façades de couleurs vives, un bar, trois boulangeries, une charcuterie, la pizzeria Mira-Lago et, perché sur la colline, un petit stade. Bienvenue à Hoffenheim, village d'un peu moins de 3300 habitants situé dans le sud-ouest de l'Allemagne, au cœur du Bade-Wurtemberg.
Depuis le mois d'août, ce minuscule bourg sans charme particulier ni vie sociale palpitante fait pourtant la une des médias allemands. La raison en est simple: le club local du TSG Hoffenheim 1899, inattendu promu en Bundesliga, représente la plus petite agglomération de l'histoire du célèbre championnat allemand. Et, il occupe la deuxième place du classement.
Loin des géants de Munich, Hambourg ou Berlin, sans passé footballistique prestigieux, le «club des bouseux», comme le surnomment avec dédain des supporteurs du puissant voisin Stuttgart, est en train de vivre une aventure peu commune.
Pour être tout à fait juste, le club d'Hoffenheim ne représente pas seulement le minuscule village du même nom mais également la ville voisine de Sinsheim et ses 50000 habitants. Une petite route mène de l'une à l'autre et le siège social du club, d'une modestie rare, est construit à l'ombre de la station-service, juste à la sortie d'Hoffenheim.
En reprenant l'autoroute A6, à la sortie de Sinsheim, une vision étonnante s'offre au conducteur-visiteur. Sur un gigantesque chantier s'activent des dizaines d'ouvriers et la poussière vole derrière le va-et-vient des camions. Déjà bien avancés, les travaux d'un splendide stade de 30000 places doivent s'achever en janvier.
En attendant d'emménager dans cet écrin, les joueurs d'Hoffenheim disputent leurs premières rencontres de Bundesliga «à domicile» dans le Carl-Benz Stadion de Mannheim, situé à une cinquantaine de kilomètres. «Nous avons passé un accord avec les chemins de fer allemands. Tous les supporteurs détenteurs d'un billet pour les rencontres à domicile peuvent voyager gratuitement à bord des trains pour aller à Mannheim et revenir à Sinsheim les jours de match», souligne Markus Sieger, responsable de la communication du club.
Si Hoffenheim, qui évoluait encore en cinquième division il y a huit ans, se retrouve aujourd'hui parmi l'élite, c'est essentiellement grâce à la fidélité et à la générosité d'un homme qui, depuis dix-huit ans, accompagne le club de son enfance. Milliardaire ayant fait fortune à la tête de la grande société d'informatique SAP, Dietmar Hopp met la main à la poche dès qu'il le faut. «Lorsque le club est monté en troisième division, je m'étais fixé cinq ans pour qu'il rejoigne la Bundesliga. Cela n'a pris que deux ans», rappelait-il dans les colonnes du Frankfurter Rundschau. On estime à 150 millions d'euros les dépenses effectuées depuis dix-huit ans par le mécène pour son club chéri. La construction du futur stade lui coûte 50 millions d'euros, mais rien n'est trop beau pour les bleus et blancs d'Hoffenheim 1899.
«Contrairement à ce que disent ses détracteurs qui estiment que ce club ne génère aucune passion sincère, Hoffenheim est devenu un vrai club populaire», souligne un journaliste allemand. Cette saison, ils sont 14000 abonnés et les rencontres à Mannheim ont lieu devant 26000 spectateurs de moyenne. Toutes les villes et villages de ce coin du Bade-Wurtemberg soutiennent le petit club, propulsé dans la cour des grands.
L'argent de Dietmar Hopp n'a pas seulement permis de faire venir de jeunes joueurs prometteurs et un entraîneur de qualité, Ralf Rangnick, surnommé le «Professeur». Ancien technicien de Stuttgart et de Schalke 04, il fait des miracles depuis son arrivée, à l'été 2006.
«Notre politique est de faire confiance à de jeunes joueurs», dit-il. Ce n'est pas un hasard si, avec une moyenne d'âge de 24 ans, son équipe est la plus jeune de toute la Bundesliga.
L'argent de Hopp a aussi permis d'offrir des structures performantes. Les équipes de jeunes bénéficient de bonnes conditions d'entraînement à Zuzenhausen, localité située à trois kilomètres d'Hoffenheim. Et pour la première fois de son histoire, le club vient de décrocher le titre de champion d'Allemagne chez les moins de 17 ans.
Si beaucoup d'observateurs prédisaient un calvaire aux promus inconnus pour leur arrivée en Bundesliga, ils doivent aujourd'hui réviser leur jugement. Avec un groupe de jeunes venus d'Allemagne mais aussi du Brésil, du Nigeria, du Sénégal (Demba Ba, formé à Montrouge puis joueur de Rouen) ou de Bosnie (Vedad Isibesic, ancien du PSG), Hoffenheim surprend encore. Le maintien est évidemment l'objectif, en attendant mieux. Mais avec l'argent de Dietmar Hopp, tout est possible.
FC Gretna, du conte de fées au vilain vaudeville
Le petit club écossais était devenu grand, à la grâce d'un mécène prodigue. Il n'est plus.
Christian Despont
Les dernières images montrent un terrain en jachère, étouffé par les herbes folles et surplombé par un pylône rachitique. Ci-gît le FC Gretna, fierté d'une bourgade écossaise de 3000 âmes, connue comme la capitale européenne de l'«express wedding»: cent mariages y sont perpétrés chaque année, le jour de la Saint-Valentin, selon les règlements expéditifs de l'état civil. Les destins y sont enchaînés sur l'enclume du forgeron, en vertu d'une croyance séculaire: Robin des Bois serait arrivé à cheval devant la forge du village, encombré de la belle Marion.
Le FC Gretna est né de cette idéologie romantique selon laquelle, en football également, rien ne vaut les amours coupables de la tradition et du lucre. Las, le club est mort d'avoir trop aimé, ou du moins déraisonnablement, sous l'égide d'un mécène volage et en mauvaise santé. Le 11 mars dernier, David Elliot, ultime administrateur, lançait un appel à la population, relayé par l'ensemble de la presse écossaise: «Nous devons trouver 30000 livres d'ici à samedi, ou nous ne pourrons pas financer notre déplacement à Aberdeen.»
Le bus n'est jamais parti. Au petit matin, huissiers et policiers sont arrivés simultanément devant la mairie du village, à cheval sur les principes: les premiers pour placer le club en liquidation judiciaire, les seconds pour constater une effraction dans ses locaux, d'où avait disparu le lard fumé obtenu à bon prix pour le dernier «breakfast» de l'équipe.
Spectacle sans public
Il y a longtemps que le FC Gretna n'était plus solvable. Promu en première division, lui qui, un siècle durant, mena une vie honnête dans des luttes de sous-préfecture, il n'était qu'un spectacle sans public, une pièce unique sans théâtre: seule une meute efflanquée d'autochtones s'ébrouait les soirs de crachins, dans un stade loué chèrement aux «culs-terreux» de Motherwell.
Le FC Gretna était issu de la troisième division, d'où il a émergé en trois promotions successives, avant d'atteindre la finale de la Cup - perdue aux tirs au but. Cette fulgurance est le fait d'un millionnaire excentrique, Mileson Brooks, 60 ans, élevé dans un quartier malfamé de Sunderland. Son aventure lui a coûté vingt millions de francs. Indifféremment (ou non), l'homme a encore subi deux attaques cardiaques, puis deux opérations à l'estomac.
Le jour du dépôt de bilan, Mileson Brook était alité à son domicile, dans un état jugé critique. Son entourage a expliqué sobrement que «Monsieur ne serait plus en mesure d'honorer les salaires, ni de subvenir aux besoins du club». La brigade fut éconduite sans indemnité.
«Offrez-nous cette terre»
Quelques jours plus tard, le terrain de Raydale Park où, en 1946, Terry et Helen McGregor fondèrent le FC Gretna, fut mis aux enchères pour éponger des créances. Le journal local en appela à la magnanimité de Milson Brook, dans une ultime largesse: «Offrez cette terre aux gens du pays, afin que le club renaisse de ses cendres, et que le football survive dans ces contrées acquises.»
Le millionnaire n'est jamais réapparu, pas même au tribunal où, équipé d'un certificat médical, son avocat a plaidé l'irresponsabilité. Seul un ancien employé du club a joint le mécène sur son lit d'hôpital, après des appels incessants. Une voix à peine reconnaissable a fustigé l'impéritie des administrateurs, puis s'est éteinte brusquement.
Le mois dernier, des supporters et entreprises locales - au nombre desquels figurent de nombreux créanciers - ont donné naissance à «Gretna 2008», avant de le conduire au succès dans un tournoi corporatif du comté. La fédération a accepté une demande d'adhésion à la Ligue de l'Est. L'équipe jouera dans la ville honnie de Annan, en attendant que, peut-être, à Raydale Park, les immeubles poussent moins vite que les herbes folles.
[Le Temps 2008]