Le régime de plomb du FC Sion
Christian Constantin a la réputation de bien payer ses joueurs. En échange, il exige un comportement irréprochable sur le terrain, mais aussi en dehors.
Le règlement interne du club valaisan ne tolère pas le moindre écart. Exemples édifiants.
Fabiano Citroni - le 30 mars 2010, 22h49
Le Matin
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On ne badine pas avec la discipline au FC Sion: un joueur est aperçu en pleine nuit au casino, à 36 heures d'un match de championnat, il est licencié avec effet immédiat «pour justes motifs». L'affaire Dos Santos, du nom du Brésilien viré par le club sédunois, fait débat. «Le président Constantin ne peut agir de la sorte», s'emporte l'avocat du joueur incriminé. Le grand patron de Sion, un omniprésident façon Sarkozy, passe de nouveau pour le méchant de service. Osons la question: Constantin est-il un tyran?
Fidèle à son habitude, le principal intéressé répond par une pirouette: «Si vous voulez écrire que je suis un tyran avec mes joueurs, faites-le. Mais comment qualifier alors Saddam Hussein?» Le boss du FC Sion précise son credo: «Pour qu'une collectivité fonctionne, et un club de foot en est une, elle doit avoir un fonctionnement militaire.»
Christian Constantin a accepté de nous fournir une copie du règlement interne de son club. A la lecture des vingt articles qui occupent six pages A4, on se dit qu'on ne doit pas rigoler tous les jours du côté de Sion. Un exemple? Non, plusieurs. Au chapitre 6, «Hygiène de vie», il est écrit que «la fumée et l'alcool sont interdits, tout comme la consommation de substances pouvant nuire à la santé et aux performances sportives. Le joueur est tenu de respecter les instructions du staff technique et médical (par exemple en matière de consommation de boissons gazeuses ou caféinées)». Boire un Coca ou un café, c'est donc pan-pan cul-cul.
On ne sort pas du rang
Plus drôle, le chapitre 14 sur les «installations sportives»: «Le joueur veille à maintenir l'ordre et la propreté dans les vestiaires. Son matériel sera rangé correctement, ses chaussures nettoyées et entreposées à l'endroit prévu à cet effet.»
On vous passe le volet «norme de comportement général» rappelant que sur un plan sportif, le joueur veille à «donner le meilleur de lui-même, consacrer tous ses efforts à la progression, être animé d'un esprit positif et effectuer une autocritique objective». Sur un plan extrasportif, il veille à «faire les efforts nécessaires pour s'intégrer au groupe, entretenir des relations respectueuses avec toutes les personnes collaborant au bon fonctionnement du club, y compris les partenaires et sponsors». On ne hausse pas le ton, on ne sort pas du rang.
Le joueur doit faire tout juste. Notamment avec les sponsors. Le chapitre 11 le rappelle: «Lors des matches à domicile, les joueurs s'engagent à visiter les différents espaces VIP selon les instructions données par le directeur général du club.» Ce même directeur général «décide de la participation des joueurs aux activités promotionnelles du club».
Et puis, parce que les temps sont durs, on doit faire attention à l'équipement. Chapitre 13: «Hormis les pièces de son stock personnel, le joueur a l'interdiction de donner ou d'échanger ses maillots. A défaut, tout maillot manquant sera facturé à son prix à neuf.»
Amende salée
Retour au chapitre 6 sur «l'hygiène de vie», le chapitre qui a coûté sa place à Dos Santos. «Le joueur se conformera à des interdictions de sorties. A défaut d'instructions particulières, l'heure de rentrée tolérée la veille d'un jour d'entraînement est 24 h. La veille d'un jour de match, aucune sortie n'est tolérée.»
Que risque le joueur qui ne se plie pas à la discipline de fer imposée par le club sédunois? Au pire, il prend la porte, au mieux, il écope d'une amende. Pour faire simple, le montant de l'amende tient compte de la gravité de la faute. Elle peut aller de 100 francs à beaucoup d'argent, du style une année de salaire si le joueur est convaincu de dopage. En cas d'absence non autorisée, l'amende s'élève au minimum aux 5% du salaire mensuel brut du joueur par jour d'absence. Un joueur gagnant 40 000 francs par mois verrait son salaire amputé de 2000 francs.
Dur, dur, le règlement interne du FC Sion. «Le nôtre est peut-être plus étoffé que celui d'autres clubs suisses, reconnaît Constantin. Mais tu ne peux pas arriver à un résultat sportif sans ça.» Chef, oui, chef!
LES QUESTIONS QUI FÂCHENT
Christian Constantin,
Êtes-vous un castrateur?
Réponse:«Non. Mais si vous avez la naïveté de croire qu'on peut arriver à un résultat sans exigence, votre carrière sera courte.»
Pourquoi traiter les joueurs comme des gamins?
Réponse:«Ce n'est pas le cas. Mais je sais que la chose qui pousse le plus facilement, c'est l'oisiveté et la facilité. Et ma main gauche ne fait pas confiance à ma main droite, j'ai donc du mal à faire confiance aux gens.»
Virer un joueur qui va au casino, à quoi ça rime?
Réponse:«Quand on bafoue le maillot du club, je ne peux l'accepter. Sur le terrain, celui qui commet une faute grave est expulsé. Aucun sportif digne de ce nom ne se rend au casino à 36 heures d'un match.»
Pour la méthode dure
GÉRARD CASTELLA
Entraîneur de l’équipe de Suisse des M 20, ancien entraîneur de Servette
«Un règlement strict, c'est essentiel»
«Pour qu'un club de foot tourne, il est essentiel d'avoir des règles strictes. Je fais le parallèle avec la circulation routière. Sans Code de la route, vous pouvez être sûr que les gens rouleront à gauche des lignes blanches. Lorsque le groupe Canal+ est arrivé à Servette, sa première décision a été de créer un règlement interne solide. Tout le monde en sort gagnant. Même les joueurs car ils savent ainsi de manière très claire ce qu'ils peuvent faire et ce qui est interdit. Qu'on le veuille ou non, un joueur a aussi des obligations et des devoirs.»
Contre la méthode dure
LÉONARD THURRE
Ancien joueur de Lausanne, de Servette et de Sion, consultant de la TSR
«Un joueur de foot est un grand garçon»
«Edicter un règlement interne hyperdétaillé, c'est un peu hypocrite. Car on ne sait pas ce qu'il se passe dans la chambre du joueur. A l'époque, il m'arrivait de manger des barres de chocolat alors que certains entraîneurs comme Gilbert Gress le déconseillaient vivement. Mais le joueur de foot est un grand garçon. Je crois en la responsabilité individuelle. Et puis je constate qu'en rugby la troisième mi-temps est une institution. Pourquoi les footballeurs ne pourraient-ils pas se lâcher tant que leurs performances sur le terrain n'en pâtissent pas?»