Re: Décisions arbitrales litigieuses 2012/13
Posté : 06.10.2012 13:36
L’arbitre, ce mal nécessaire
LE TEMPS, Simon Meier, Samedi 6 octobre 2012
Erreurs, démissions, griefs: la corporation brûle. Radiographie d’une fonction infernale et souvent ingrate
«Ce ne sont pas les arbitres qui ont créé le foot. C’est le foot qui a créé les arbitres. Les gens ne devraient pas l’oublier.» Philippe Mercier, sifflet émérite entre 1972 et 1988, empoigne avec philosophie le dossier brûlant de la semaine: en plus d’être largué sur le plan international, l’arbitrage helvétique perdra quatre de ses douze directeurs de jeu en Super League, qui quitteront leurs fonctions à la fin de l’année, bien avant d’avoir atteint la limite d’âge. Grave, Docteur? «Quatre qui arrêtent en haut… Ce n’est rien! Vous savez combien il y en a qui arrêtent en bas!?»
La base peut-elle bien se porter dès lors que la pointe de l’iceberg s’effrite? Damien Carrel (30 ans), Ludovic Gremaud (32), Cyril Zimmermann (36) et Daniel Wermelinger (41) tirent la prise. Punkt schluss. Pas assez payés, pas assez soutenus par les instances, pas assez respectés des joueurs, ces nantis, ni des supporters, ces animaux sauvages. M. Wemelinger, adepte de la métaphore à la limite du hors-jeu, s’est montré le plus explicite dimanche au Tagesschau de la télévision alémanique, assimilant l’arbitre à «un arbre sur lequel chacun peut pisser».
Quand c’est le foutoir absolu, quand la peur et l’incompréhension l’emportent, bref, aujourd’hui, il faut remettre les choses à plat. D’abord, il y eut la genèse. Le foot a créé les arbitres parce que les capitaines des deux équipes ne parvenaient pas à régler les litiges; parce qu’on en venait trop souvent aux poings. Vous imaginez Carles Puyol et Frank Lampard parlementer pour savoir s’il y a bien penalty à la 88e de tel importantissime Barcelone-Chelsea? Non. Donc, il faut une instance extérieure et, dès la fin des années 1840, à Winchester, Eton ou Cheltenham, on voit l’apparition des referees. L’homme en noir était né, constitué en trio dès 1891, aujourd’hui en quintette relié par des oreillettes et drapé dans des couleurs vives. Sa vie n’est pas plus rose pour autant. «Pourquoi tout le monde a-t-il le droit de se tromper sauf l’arbitre?» s’interroge Daniel Käser, responsable de la formation des sifflets à l’Association suisse de football. «Lui, le seul amateur sur le terrain, n’a pas le droit de commettre une erreur. Le professionnel, la star peut rater une passe facile, voire même un penalty, ça ne pose pas de problème. Mais si l’arbitre oublie une main dans les 16 mètres…»
Catastrophe, lynchage, vendetta. «Vous êtes au milieu de gens qui gagnent plusieurs centaines de milliers de francs par année, voire 1 million, ou même plusieurs millions quand vous arbitrez en Coupe d’Europe», compatit Philippe Mercier, «et puis vous, vous allez vous faire insulter pour 1000 francs…» Le Vaudois affirme n’avoir jamais eu de problème majeur dans sa carrière et s’amuse à raconter sa finale de Coupe 1986 entre Servette et Sion, qui se termina sur une rupture du tendon d’Achille à la 85e et qui lui coûta 27 francs au final – le trio, qui percevait une enveloppe de 400 francs, avait décidé de prendre un hôtel à ses frais la veille du match à Berne, histoire d’éviter les embouteillages.
Philippe Mercier, toujours prêt à sanctionner la réalité: «Dans ce monde où la frustration est reine, où tout est interdit, on représente une autorité. L’arbitre incarne le flic qui vous met une amende, le prof qui vous colle une mauvaise note.» Mais encore, pas très optimiste: «Les gens se libèrent de leurs frustrations contre celui qui leur permet de jouer et de se distraire. Ça devient complètement débile.»
L’arbitre, ce bouc expiatoire. «Oui, on peut dire qu’il faut être un peu masochiste», admet Ludovic Gremaud, qui a donc décidé, après dix-sept ans d’arbitrage, de se consacrer davantage à sa future épouse, à ses amis ainsi qu’à sa carrière de docteur en chimie. «C’est plus une déception que du dégoût», tempère le Genevois. «Quand j’ai commencé, je croyais que le semi-professionnalisme arriverait. Et finalement, je vois que rien n’a changé. J’aurais bien voulu partager les deux activités à 50%, mais c’est impossible.» M. Gremaud arrête pour de bon. Pas fâché: «C’est une fonction ingrate, on sait bien. L’arbitre, ce n’est pas pour rien qu’on l’appelait le corbeau. Il faut vivre avec ça, c’est la règle du jeu. Sinon, tu jettes l’éponge.» Précisément. Jeter l’éponge, une part d’idéalisme encore chevillée au corps: «C’est une belle fonction, qui nous fait vivre des moments extraordinaires», poursuit le futur retraité. «C’est une corporation avec des vrais amis, des gens qu’on ne connaissait pas avant et qui resteront jusqu’au bout.»
Or, donc, arbitrer peut procurer de la joie. «Le plaisir de l’arbitre, c’est d’être une part d’un ensemble, d’un milieu qui est le football», témoigne Yves Laplace, écrivain, qui arpente les terrains régionaux depuis plus de trente ans. «En sifflant un match de juniors C, virtuellement, de par la structure associative du football, on est relié au sommet de la discipline.» Une tranche de réconfort, un rayon de soleil dans la grisaille: «Le plaisir est évident: c’est celui du jeu, du contact, de l’effort. Chez Freud, le rêve protège le sommeil. L’arbitrage, lui, protège le jeu et les joueurs.»
Yves Laplace, à 26 ans, fut victime d’une agression par le joueur qu’il venait d’expulser pour insulte, assisté d’un coéquipier. Cela n’a pas entamé sa passion. Le plaisir bien particulier qui consistait à se lever aux aurores, «il y a quinze ou vingt ans, pour aller arbitrer un Brigue-Sierre à 10 heures le dimanche matin, avec la raclette après»…
Ils sont 4 600 à embrasser le sacerdoce en Suisse, et ce n’est pas assez. Le nombre de volontaires se stabilise, tandis que le nombre de matches augmente. «Notre but est d’atteindre la barre des 5000 arbitres», expose Daniel Käser. «Mais dans certaines régions, comme Neuchâtel, le Valais ou Soleure, par exemple, il est de plus en plus difficile de trouver des gens. Certains doivent siffler plusieurs fois dans le même week-end, tantôt en arbitre principal, tantôt en juge de touche.»
Et ceux qui ont le courage de se lancer ne possèdent pas toujours la bravoure de persévérer. «Beaucoup de jeunes arbitrent pendant un ou deux ans et, peut-être parce qu’ils ne sont pas assez encadrés, s’arrêtent», reprend Daniel Käser. «L’image de l’arbitre est plutôt négative, ils sont vite mis sous pression, parfois victimes de violences, même.» Faut-il, dès lors, s’inquiéter d’une possible pénurie ès directeurs de jeu? «Ce serait naïf de penser que tout va bien. C’est pourquoi nous avons lancé des campagnes de sensibilisation sur le fait qu’arbitrer, c’était cool. Pour montrer à quel point cela pouvait contribuer au développement de la personnalité.»
Le spot, témoignages poignants à l’appui – «Je suis devenu arbitre après un grave accident de voiture» –, joue sur la corde confédérale de l’engagement et de la camaraderie. «L’arbitrage est une école de vie fantastique», abonde Daniel Käser. «Arbitrer, c’est une possibilité de s’imposer, de prendre des décisions importantes, comme on le ferait dans une entreprise. Cela représente une expérience immense, une charge avec beaucoup de responsabilités. D’ailleurs, tous nos arbitres de Super League sont des managers ou des cadres. L’arbitrage enseigne, sur le terrain et en dehors, la bonne façon de se comporter avec les gens. Je ne sais pas si cela existe à ce point dans un autre domaine.»
Il y a le côté face, et le côté pile. Tout comme cette pièce qu’ils jettent en l’air avant le coup d’envoi, la fonction d’arbitre revêt ses deux visages. Et ses multiples complications. «Déjà en juniors, les jeunes reçoivent cette culture qui consiste à vouloir berner l’arbitre, le tromper», déplore Daniel Käser. «Il en découle forcément un sentiment d’injustice.» Philippe Mercier fustige pour sa part les ondes et les gazettes: «Quand la pelouse est bonne, les commentateurs le mentionnent. L’arbitre, ils n’en parlent que quand il est mauvais. Le rôle des médias, c’est lamentable. A force de critiquer les arbitres, ils ternissent et fragilisent l’ensemble de la profession, alors qu’ils se trompent souvent sur le nom des joueurs. Tous ces reporters qui se prennent pour des arbitres, ce que ça peut m’énerver…»
Et les hommes en noir d’exaspérer, des fois, la terre entière. Sont-ils heureux? Telle n’est pas la question. Parce que le foot a créé les arbitres, et pas l’inverse.
LE TEMPS, Simon Meier, Samedi 6 octobre 2012
Erreurs, démissions, griefs: la corporation brûle. Radiographie d’une fonction infernale et souvent ingrate
«Ce ne sont pas les arbitres qui ont créé le foot. C’est le foot qui a créé les arbitres. Les gens ne devraient pas l’oublier.» Philippe Mercier, sifflet émérite entre 1972 et 1988, empoigne avec philosophie le dossier brûlant de la semaine: en plus d’être largué sur le plan international, l’arbitrage helvétique perdra quatre de ses douze directeurs de jeu en Super League, qui quitteront leurs fonctions à la fin de l’année, bien avant d’avoir atteint la limite d’âge. Grave, Docteur? «Quatre qui arrêtent en haut… Ce n’est rien! Vous savez combien il y en a qui arrêtent en bas!?»
La base peut-elle bien se porter dès lors que la pointe de l’iceberg s’effrite? Damien Carrel (30 ans), Ludovic Gremaud (32), Cyril Zimmermann (36) et Daniel Wermelinger (41) tirent la prise. Punkt schluss. Pas assez payés, pas assez soutenus par les instances, pas assez respectés des joueurs, ces nantis, ni des supporters, ces animaux sauvages. M. Wemelinger, adepte de la métaphore à la limite du hors-jeu, s’est montré le plus explicite dimanche au Tagesschau de la télévision alémanique, assimilant l’arbitre à «un arbre sur lequel chacun peut pisser».
Quand c’est le foutoir absolu, quand la peur et l’incompréhension l’emportent, bref, aujourd’hui, il faut remettre les choses à plat. D’abord, il y eut la genèse. Le foot a créé les arbitres parce que les capitaines des deux équipes ne parvenaient pas à régler les litiges; parce qu’on en venait trop souvent aux poings. Vous imaginez Carles Puyol et Frank Lampard parlementer pour savoir s’il y a bien penalty à la 88e de tel importantissime Barcelone-Chelsea? Non. Donc, il faut une instance extérieure et, dès la fin des années 1840, à Winchester, Eton ou Cheltenham, on voit l’apparition des referees. L’homme en noir était né, constitué en trio dès 1891, aujourd’hui en quintette relié par des oreillettes et drapé dans des couleurs vives. Sa vie n’est pas plus rose pour autant. «Pourquoi tout le monde a-t-il le droit de se tromper sauf l’arbitre?» s’interroge Daniel Käser, responsable de la formation des sifflets à l’Association suisse de football. «Lui, le seul amateur sur le terrain, n’a pas le droit de commettre une erreur. Le professionnel, la star peut rater une passe facile, voire même un penalty, ça ne pose pas de problème. Mais si l’arbitre oublie une main dans les 16 mètres…»
Catastrophe, lynchage, vendetta. «Vous êtes au milieu de gens qui gagnent plusieurs centaines de milliers de francs par année, voire 1 million, ou même plusieurs millions quand vous arbitrez en Coupe d’Europe», compatit Philippe Mercier, «et puis vous, vous allez vous faire insulter pour 1000 francs…» Le Vaudois affirme n’avoir jamais eu de problème majeur dans sa carrière et s’amuse à raconter sa finale de Coupe 1986 entre Servette et Sion, qui se termina sur une rupture du tendon d’Achille à la 85e et qui lui coûta 27 francs au final – le trio, qui percevait une enveloppe de 400 francs, avait décidé de prendre un hôtel à ses frais la veille du match à Berne, histoire d’éviter les embouteillages.
Philippe Mercier, toujours prêt à sanctionner la réalité: «Dans ce monde où la frustration est reine, où tout est interdit, on représente une autorité. L’arbitre incarne le flic qui vous met une amende, le prof qui vous colle une mauvaise note.» Mais encore, pas très optimiste: «Les gens se libèrent de leurs frustrations contre celui qui leur permet de jouer et de se distraire. Ça devient complètement débile.»
L’arbitre, ce bouc expiatoire. «Oui, on peut dire qu’il faut être un peu masochiste», admet Ludovic Gremaud, qui a donc décidé, après dix-sept ans d’arbitrage, de se consacrer davantage à sa future épouse, à ses amis ainsi qu’à sa carrière de docteur en chimie. «C’est plus une déception que du dégoût», tempère le Genevois. «Quand j’ai commencé, je croyais que le semi-professionnalisme arriverait. Et finalement, je vois que rien n’a changé. J’aurais bien voulu partager les deux activités à 50%, mais c’est impossible.» M. Gremaud arrête pour de bon. Pas fâché: «C’est une fonction ingrate, on sait bien. L’arbitre, ce n’est pas pour rien qu’on l’appelait le corbeau. Il faut vivre avec ça, c’est la règle du jeu. Sinon, tu jettes l’éponge.» Précisément. Jeter l’éponge, une part d’idéalisme encore chevillée au corps: «C’est une belle fonction, qui nous fait vivre des moments extraordinaires», poursuit le futur retraité. «C’est une corporation avec des vrais amis, des gens qu’on ne connaissait pas avant et qui resteront jusqu’au bout.»
Or, donc, arbitrer peut procurer de la joie. «Le plaisir de l’arbitre, c’est d’être une part d’un ensemble, d’un milieu qui est le football», témoigne Yves Laplace, écrivain, qui arpente les terrains régionaux depuis plus de trente ans. «En sifflant un match de juniors C, virtuellement, de par la structure associative du football, on est relié au sommet de la discipline.» Une tranche de réconfort, un rayon de soleil dans la grisaille: «Le plaisir est évident: c’est celui du jeu, du contact, de l’effort. Chez Freud, le rêve protège le sommeil. L’arbitrage, lui, protège le jeu et les joueurs.»
Yves Laplace, à 26 ans, fut victime d’une agression par le joueur qu’il venait d’expulser pour insulte, assisté d’un coéquipier. Cela n’a pas entamé sa passion. Le plaisir bien particulier qui consistait à se lever aux aurores, «il y a quinze ou vingt ans, pour aller arbitrer un Brigue-Sierre à 10 heures le dimanche matin, avec la raclette après»…
Ils sont 4 600 à embrasser le sacerdoce en Suisse, et ce n’est pas assez. Le nombre de volontaires se stabilise, tandis que le nombre de matches augmente. «Notre but est d’atteindre la barre des 5000 arbitres», expose Daniel Käser. «Mais dans certaines régions, comme Neuchâtel, le Valais ou Soleure, par exemple, il est de plus en plus difficile de trouver des gens. Certains doivent siffler plusieurs fois dans le même week-end, tantôt en arbitre principal, tantôt en juge de touche.»
Et ceux qui ont le courage de se lancer ne possèdent pas toujours la bravoure de persévérer. «Beaucoup de jeunes arbitrent pendant un ou deux ans et, peut-être parce qu’ils ne sont pas assez encadrés, s’arrêtent», reprend Daniel Käser. «L’image de l’arbitre est plutôt négative, ils sont vite mis sous pression, parfois victimes de violences, même.» Faut-il, dès lors, s’inquiéter d’une possible pénurie ès directeurs de jeu? «Ce serait naïf de penser que tout va bien. C’est pourquoi nous avons lancé des campagnes de sensibilisation sur le fait qu’arbitrer, c’était cool. Pour montrer à quel point cela pouvait contribuer au développement de la personnalité.»
Le spot, témoignages poignants à l’appui – «Je suis devenu arbitre après un grave accident de voiture» –, joue sur la corde confédérale de l’engagement et de la camaraderie. «L’arbitrage est une école de vie fantastique», abonde Daniel Käser. «Arbitrer, c’est une possibilité de s’imposer, de prendre des décisions importantes, comme on le ferait dans une entreprise. Cela représente une expérience immense, une charge avec beaucoup de responsabilités. D’ailleurs, tous nos arbitres de Super League sont des managers ou des cadres. L’arbitrage enseigne, sur le terrain et en dehors, la bonne façon de se comporter avec les gens. Je ne sais pas si cela existe à ce point dans un autre domaine.»
Il y a le côté face, et le côté pile. Tout comme cette pièce qu’ils jettent en l’air avant le coup d’envoi, la fonction d’arbitre revêt ses deux visages. Et ses multiples complications. «Déjà en juniors, les jeunes reçoivent cette culture qui consiste à vouloir berner l’arbitre, le tromper», déplore Daniel Käser. «Il en découle forcément un sentiment d’injustice.» Philippe Mercier fustige pour sa part les ondes et les gazettes: «Quand la pelouse est bonne, les commentateurs le mentionnent. L’arbitre, ils n’en parlent que quand il est mauvais. Le rôle des médias, c’est lamentable. A force de critiquer les arbitres, ils ternissent et fragilisent l’ensemble de la profession, alors qu’ils se trompent souvent sur le nom des joueurs. Tous ces reporters qui se prennent pour des arbitres, ce que ça peut m’énerver…»
Et les hommes en noir d’exaspérer, des fois, la terre entière. Sont-ils heureux? Telle n’est pas la question. Parce que le foot a créé les arbitres, et pas l’inverse.