«Le scandale du Calcio n'a rien changé du tout»
JUSTICE. L'avocat Claudio Pasqualin dresse un constat amer de l'affaire des matches truqués: on a assisté à une parodie de procès, et les mêmes hommes tirent toujours les ficelles.
Guillaume Prébois, Milan
Mercredi 30 août 2006
Il disserte sur la robe d'un Barolo ou d'un Sassicaia en œnologue averti. Il pédale 10000 km par an et vient de devenir, à 62 ans, champion d'Italie de cyclisme des avocats. Il foule régulièrement les moquettes de Christie's à la recherche de précieuses reliques footballistiques pour enrichir sa fantastique collection personnelle. Manager réputé, son agence PdP, fondée à Vicence (Vénétie) en 1986, a eu par le passé des clients du calibre d'Alessandro Del Piero ou Gianluca Vialli. Aujourd'hui, il gère la carrière du champion du monde Rino Gattuso ou encore celle du gardien de l'Inter Milan, Francesco Toldo. Claudio Pasqualin est un homme éclectique, talentueux négociateur et fin observateur du Calcio, dans lequel il sait évoluer sans en être phagocyté. Selon lui, «un vent de restauration souffle déjà sur le football italien».
Le Temps: L'AC Milan, la Fiorentina et la Lazio Rome restent en Série A avec une pénalisation. Seule la Juventus Turin descend en Série B. «Calciopoli», le plus grand scandale de l'histoire du sport italien, n'a-t-il été qu'une énième réplique du shakespearien «Beaucoup de bruit pour rien»?
Claudio Pasqualin: Absolument. Le climat, jacobin et justicialiste, de la première heure a rapidement tourné pour laisser place à la clémence complice. Le premier verdict, celui de la Commission d'appel fédérale, condamnait les clubs à des peines appropriées, alors que les juges de la Cour fédérale ont clairement cherché à contenter tout le monde. L'Italie a encore une fois perdu une grande occasion de reconstruire son image à l'étranger. Après les passeports frauduleux et les fausses garanties bancaires, un autre scandale monumental s'achève par un compromis à l'italienne.
– Faut-il dès lors réformer la justice sportive italienne?
– Je parlerais volontiers de refondation plutôt que de réforme. On constate que le concept de justice est interprété de façon trop élastique chez nous. Il faudrait revenir à la notion moins grandiloquente de discipline sportive utilisée autrefois. La mascarade à laquelle nous avons assisté est indigne de l'idée même de justice. Le super-commissaire de la Fédération, Guido Rossi, n'a pas eu le courage de renouveler totalement les rouages de la justice sportive, si bien que l'ex-président de la Fédération, Franco Carraro, a été jugé en appel par des juges qu'il avait autrefois lui-même nommés! Il n'a d'ailleurs pas manqué de les saluer chaleureusement avant le verdict. Cela vous étonne qu'ils l'aient brillamment innocenté en renversant le jugement de première instance?
– Après avoir engagé l'avocat belge Jean-Louis Dupont, célèbre pour avoir obtenu gain de cause dans le procès Bosman, le conseil d'administration de la Juventus a franchi le Rubicon en décidant, à l'unanimité, de porter l'affaire devant le Tribunal administratif du Latium (Tar)...
– J'en suis profondément déçu. D'abord parce que ce choix aura comme conséquence directe une pénalisation ultérieure de la Juve par la Fédération italienne, et sa mise à l'écart des compétitions par la FIFA pour une durée à déterminer. Ensuite parce que ce geste est empreint d'un symbolisme fort. Il signifie: «Moi, Juventus, le club de football le plus connu d'Italie, je ne reconnais pas l'autorité et l'autonomie de la justice sportive. Je cherche à obtenir gain de cause au dehors, devant les tribunaux civils, parce que je n'accepte pas le règlement dont le monde sportif s'est doté et auquel j'avais librement adhéré.» En outre, les délais de cette procédure risquent de différer le début du championnat: le Tar a le pouvoir d'annuler les jugements précédents ou de suspendre l'application des peines.
– On murmure que Luciano Moggi, la pierre angulaire du scandale, s'est déjà remis au travail dans les coulisses.
– Je vous le confirme. Un vent de restauration souffle sur le Calcio. Quand on sait qu'une pétition pour le retour de Luciano Moggi aux affaires a recueilli plus de 3000 signatures, on comprend ce qui est en train de se passer. Nello De Nicola, nouveau directeur sportif du club d'Ascoli, vient de déclarer sans vergogne: «Le foot ne peut se passer de Moggi.» Son réseau de relations est toujours en place. Je flaire la même ambiance qu'auparavant: l'autre jour, dans une interview au Corriere della Sera, j'ai souligné que son fils continuait de vendre et d'acheter librement sur le Mercato. Le matin même, Moggi m'a téléphoné pour m'insulter, avec la même arrogance qu'avant, celle d'un homme qui a du pouvoir. Je me risque à une prévision: on va bientôt le voir revenir sur le devant de la scène.
– Rien n'a donc changé?
– Rien. Les fistons célèbres qui avaient fondé l'agence de management GEA se sont bornés à liquider juridiquement la structure, mais les fils de Marcello Lippi et de Luciano Moggi, ainsi que leurs ex-associés continuent, sans gêne, à manœuvrer leurs joueurs sur le marché des transferts. L'Association pour la libre concurrence avait annoncé en grande pompe une liste de nouvelles règles, dont l'interdiction d'opérer pour les enfants ou parents de personnes actives dans le monde du football, mais on attend encore sa publication. Le Mercato n'a pas été affecté par le scandale. Les acteurs sont toujours les mêmes. L'hôtel où les agents se réunissent ces jours pour les derniers transferts est aussi resté le même: le Quark, à Milan. Non, rien n'a changé.