Didier Tholot, jeans, baskets, et tête haute
Image © Isabelle Favre
«Le travail et la générosité, je crois que je partage les mêmes valeurs que le public valaisan.»
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Deux joueurs virés, un autre soupçonné de truquage: l'entraîneur français est resté d'un flegme impérial dans les affaires secouant le FC Sion. Ami de Zidane, c'est un bosseur, sans concession
Bertrand Monnard - le 03 avril 2010, 21h54
Le Matin Dimanche
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Ce vendredi matin, Didier Tholot, (46 ans), entraîneur du FC Sion depuis bientôt une année, un record sous l'ère Constantin, a mal dormi. Mais cela n'a rien à voir avec les affaires, la grande lessive qui a continué au FC Sion avec le limogeage de Mitreski, après celui de Dos Santos.
Non, Tholot, lui, est un homme de terrain, et de terrain seulement, un gagneur. La veille, Sion s'est incliné 4-3 à Bâle, après avoir mené deux fois au score et l'entraîneur ne l'a pas digéré. «Quand on perd, je dors toujours mal. J'ai revu le match deux fois dans le car et chez moi à 2h du mat'. C'est très frustrant. On a un gros potentiel, dans un bon jour, on peut battre n'importe qui. Mais l'équipe manque encore de caractère.»
«Mon métier m'occupe à 100%»
Son FC Sion ne s'est jamais montré aussi combatif que depuis que les affaires ont éclaté. Comme si les allégations du président avaient soudé l'équipe, sonné une sorte de révolte contre ce qui est ressenti comme de l'injustice. «Notre salut passe par les performances», relève l'entraîneur. Didier Tholot est resté très calme, la tête haute, comme s'il voulait se tenir à l'écart des rumeurs de coulisse, concentré sur son seul job.
Une seule chose l'a blessé: quand Dos Santos a affirmé que lors du dernier camp d'entraînement de Riddes les joueurs s'éclataient au poker jusque tard dans la nuit, et que l'entraîneur savait. «C'est n'importe quoi. J'ai mes qualités et mes défauts, mais tous ceux qui me connaissent savent que je m'investis à fond dans ce que je fais, que mon métier m'occupe à 100%.»
Jamais de cravate
Le père de Didier Tholot était mécanicien agricole à St Etienne. Ses deux frères, aujourd'hui, gagnent modestement leur vie dans la région. Ses racines, Tholot y est toujours resté fidèle. Trapu (1,74 m), il a été deux fois meilleur buteur du championnat de France avec Martigues, mais dans son style à lui, de battant, pas très technique.
Comme entraîneur, sa manière d'être, au fond, n'est pas très différente: c'est un bosseur, discret, modeste, jusque dans le look qu'il affiche lors des matches. Quand ses collègues rivalisent d'élégance sur le banc, Didier Tholot reste fidèle à ses jeans et ses baskets. «Même pour mon mariage, je n'ai jamais mis de cravates. Cela ne me correspond pas, je ne me prends pas pour ce que je ne suis pas.»
Les yeux dans les yeux
On le dit très proche des joueurs, franc et direct. Il sourit. «Proche ne veut pas dire gentil. Mais je ne suis pas un tordu, les choses, je les dis en face. Après notre match catastrophique à GC, j'ai convoqué l'équipe pour lui demander les yeux dans les yeux si le problème, c'était moi. Il faut savoir provoquer une réaction dans les mauvais moments.»
Le président Constantin et ses manières brutales, Didier Tholot connaît. En 2003, il avait déjà entraîné le FC Sion en Challenge league, avant d'être limogé après une vingtaine de matches. Quand le même Constantin, au printemps dernier, l'a recontacté, Tholot a dit oui, conscient des risques.
«J'avais un double mandat: sauver l'équipe menacée par la relégation à neuf matches de la fin, et gagner la Coupe, pour laquelle elle était qualifiée. J'ai réussi sur les deux tableaux. Mais le risque était grand: je venais d'échouer à Reims et dans ce métier, deux échecs consécutifs et vous êtes morts.»
«J'ai déchiré mon contrat»
Sauf catastrophe, il fêtera son premier anniversaire à la tête du FC Sion le 14 avril. Du jamais vu: depuis son retour en 2003, le président a épuisé 21 entraîneurs, soit une moyenne de vie de quatre mois.
«Constantin s'investit totalement dans le club mais attend beaucoup des autres. Compte tenu des antécédents, le risque est peut-être un peu plus grand ici. Mais c'est le métier d'entraîneur qui veut cela. Quand on s'assied sur un banc, on ne sait pas quand on le quittera. Je n'ai jamais vécu dans la peur. Si vous avez peur de perdre votre place, vous l'avez déjà perdue. J'assume les défaites comme les victoires, je ne cherche jamais de faux-fuyants. A St Etienne, comme joueur, j'ai déchiré mon contrat devant le président avec qui j'étais en conflit et j'ai signé à Martigues pour quatre fois moins. Je vis le foot par passion, c'est ma raison de vivre, pas pour arrondir mon compte en banque. Constantin est mon employeur, mais c'est moi qui fais l'équipe.»
Son indépendance, Didier Tholot l'a prouvée en maintenant sa confiance et en continuant à aligner Serey Die, soupçonné pourtant de truquage par le président.
Ouvrier de Saint-Etienne
Devenir footballeur: Didier Tholot en a rêvé depuis tout petit. «On habitait Boën, à 50 kilomètres de Saint-Etienne. Dans les années 70, toute la France vibrait avec les Verts et leurs folles épopées de Coupe d'Europe, Piazza, Curkovic, Rocheteau. Faute de pouvoir me payer un billet, j'écoutais les matches à la radio. Je martelais à mon père que je voulais rejoindre le centre de formation de Vichy. «OK, je te paie le train, mais l'aller seulement, m'a-t-il répondu un jour. J'avais 17 ans.» Auteur de plus de 100 buts en première division, Tholot a connu son heure de gloire en 1996, à 31 ans, avec Bordeaux: en quarts de finale de la coupe UEFA, les Girondins, battus 2-0 à l'aller par le Milan AC de Weah et Savicevic, avaient retourné la situation au retour 3-0, un match resté mythique. Tholot avait signé l'ouverture du score, comme on le lui rappelle encore souvent aujourd'hui. «Une reprise sur un centre pas très esthétique, mais le ballon avait fini au fond.»
La modestie de Zidane
Plusieurs futurs champions du monde figuraient dans l'équipe, Lizarazu, Dugarry et un certain Zidane, avec qui Tholot est resté ami. «Vision du jeu, technique il avait toutes les qualités y compris la principale: la modestie. J'ai connu je ne sais combien de talents dont la tête a enflé plus vite que les chevilles.»
Comme entraîneur, sa plus forte émotion reste bien sûr la victoire en Coupe avec Sion, l'an dernier, la onzième en autant de finales. «Je serais devenu un pestiféré si j'avais été le premier entraîneur à la perdre. La folie s'emparant du Valais après une victoire en Coupe, on me l'avait décrite, mais j'ai été bluffé. Le travail et la générosité, je crois que je partage les mêmes valeurs que le public valaisan.»
Les deux Domenech
Ses deux fils de 17 et 20 ans vivent avec leur mère à Bordeaux. «Ils font du foot, mais juste pour s'amuser.» Comment Didier Tholot, en parfait connaisseur, voit-il le parcours de ses compatriotes au prochain Mondial et que pense-t-il de Raymond Domenech, tellement haï dans son propre pays? «Les Bleus ne peuvent que surprendre en bien, c'est leur chance. Les individualités sont très fortes. Domenech, je le connais: autant il peut être sympa et ouvert en privé, autant en public, il change totalement d'attitude, son sens de la communication est catastrophique. Mais il ne faut pas oublier qu'en 1998, Aimé Jacquet avait aussi été traîné dans la boue avant son triomphe.»
Et la Suisse? «Sujet délicat. Disons que si elle passe le premier tour, l'objectif sera déjà atteint.» Battant, mais aussi diplomate.
Editorial
Jeu de balle, jeu d'argent, jeu de dupes
Deux footballeurs du FC Sion ont reçu leur congé pour justes motifs, deux autres ont écopé d'une sanction clémente, après de graves accusations publiques, pour avoir traîné dans les casinos et/ou roulé en Porsche Cayenne. A l'aune d'une vision terre à terre, Christian Constantin sait que «l'argent ne pousse pas comme les carottes», et il a raison sur ce point: un footballeur qui gagne deux fois le salaire d'un anesthésiste a des responsabilités morales, tout du moins professionnelles, envers son employeur.
Il reste qu'en sport, l'éthique de travail est une notion abstraite et, en un sens, arbitraire. Elle exige une hygiène de vie irréprochable, mais n'admet pas l'ingérence comme un droit patronal. Elle n'implique pas seulement d'arriver à l'heure, de bien travailler, de respecter les règles d'entreprise, mais d'atteindre sa plénitude, inlassablement, par tous les moyens.
Footballeur n'est pas un métier, mais un état d'esprit. C'est une philosophie à plein-temps, une logique permanente de valeur ajoutée. En cela, l'action de Christian Constantin n'est pas totalement hérétique: elle part du principe que le corps est un outil de travail, et que cet outil est la propriété contractuelle du FC Sion.
Mais il reste que les troisièmes mi-temps paillardes, les jeux d'argent, et les grosses cylindrées, appartiennent historiquement à l'ADN du footballeur mâle. S'il fallait exclure d'emblée tous les joueurs qui s'encanaillent, George Best aurait arrêté sa carrière en juniors C. Si le FC Sion avait dû licencier tous les techniciens qui, à l'ère du professionnalisme rémunéré, ont arpenté les tripots et les bistrots, aimé les belles voitures et les grandes virées, il aurait décimé ses effectifs.
Christian Constantin n'est ni sot ni romantique, il sait que le monde du football est dur, trop dur, pour s'y imposer en parangons de vertus. Cette semaine, deux joueurs de peu d'utilité, chèrement rémunérés, ont reçu leur congé, et impossible de chasser cette vision terre à terre: comme avec les carottes, il suffit de creuser, parfois, pour trouver un moyen de gagner de l'argent.
Christian Despont, rédacteur en chef adjoint