Black Book Eastern Europe

[seb]

Noir comme le football de l’Est
Fred Hirzel, LE TEMPS, samedi 12 mai 2012

Le syndicat des joueurs pros a publié un rapport accablant sur les pratiques dans les pays d’Europe orientale. A un mois de l’Euro 2012 en Pologne et en Ukraine, ces révélations font peur

Le titre de l’étude n’est pas tout à fait anodin, paraphrasant le dernier (et excellent) film sorti du réalisateur néerlandais Paul Ver­hoeven, Black Book, une sombre histoire d’infiltration et de trahison durant la Seconde Guerre mondiale. La Fédération – ou syndicat – internationale des footballeurs professionnels (FIFPro), elle aussi basée aux Pays-Bas, a choisi d’y ajouter l’extension «Eastern Europe» pour son enquête de 180 pages disponible uniquement en anglais. Il convient de le poser d’entrée, à un mois du départ de l’Euro 2012 en Pologne et en Ukraine, ce «Black Book Eastern Europe» fait peur.

Trois mille trois cent cinquante-sept joueurs en provenance de douze pays (Bulgarie, Croatie, République tchèque, Grèce, Hongrie, Kazakhstan, Monténégro, Pologne, Russie, Serbie, Slovénie, Ukraine) ont répondu, certains à visage découvert, l’immense majorité de manière anonyme, aux questions de la task force mise en place par la FIFPro. Il en ressort que 41,4% d’entre eux, toutes nationalités confondues, ne reçoivent pas leur salaire à temps – parfois, ils doivent patienter entre trois mois et une année –, 11,7% ont subi des violences de leurs propres dirigeants (!) ou de supporters, 10,2% des brutalités physiques ou psychologiques (dont l’obligation de s’entraîner à l’écart du groupe), tandis que 9,6% affirment avoir fait l’objet de discriminations raciales.

«En moyenne, ces chiffres signifient que, dans chaque équipe qui rentre sur le terrain, il y a au moins un joueur victime d’une forme de tourment physique ou mental», constate Theo van Seggelen, secrétaire général de la FIFPro.

Plus grave encore, si l’on ose, 11,9% de ces pros devenus vulnérables pour non-indépendance financière, brimades et autres délits commis à leur endroit, avouent qu’ils ont été approchés par des organisations criminelles dans le but de manipuler le résultat d’un match, sans forcément dire s’ils ont succombé ou non à la tentation de l’argent facile. «Un grand nombre d’entre eux n’osent pas parler, car ils craignent pour leur carrière ou même leur vie», déclare Van Seggelen.

Quelques exceptions, néanmoins. Dragisa Pejovic, ancien footballeur serbe du FK Borac Cacak: «Pendant six ans, il y a eu beaucoup de fois où les joueurs ont été contraints de truquer des matches. Celui qui refusait était exclu de l’équipe. J’ai disputé des rencontres arrangées parce que je devais le faire. Si je n’avais pas joué, je n’aurais pas eu de salaire et donc pas pu aider ma famille.»

Mario Cizmek, jeune international croate pas payé depuis un an: «Je me trouvais dans une situation tellement désespérée que je suis tombé dans le piège de la corruption. L’un des responsables était un membre très connu de la fédération locale.»

Examinons d’un peu plus près ce qui concerne les deux pays co-organisateurs du prochain Euro (8 juin-1er juillet), ainsi que celui qui a reçu la Coupe du monde 2018. En Pologne (212 «sondés»), il apparaît que le problème le plus sérieux réside dans le non-versement des salaires (42,9%), dont il faut rappeler qu’il ne s’agit nullement des émoluments ministériels perçus par les stars du «Big 5» de l’Ouest. Le racisme de la part des fans – un Sud-Américain s’est vu tendre une banane – fait également des ravages, 9,5% des interrogés s’en plaignent. A quoi s’ajoutent les violences de toutes sortes (dont le hooliganisme), les intimidations et le harcèlement.

En Ukraine (363 participants à l’enquête), la plaie purulente se nomme matches truqués. 13% des joueurs sont au courant de ces «arrangements» au sein de leur championnat national, 7,6% reconnaissent avoir été contactés pour une manœuvre de corruption, sans préciser s’ils ont accepté ou non. «Cela veut dire que, lors de chaque partie, deux des vingt-deux joueurs ont été approchés afin de manipuler le résultat.»

Reste la Russie, hôte du Mondial 2018. Là encore, les 177 footballeurs questionnés évoquent à l’unisson les matches truqués en fonction des paris – 10,2% ont été approchés. Mais la véritable salade russe, ce sont ces contrats (84,2%) où une partie du salaire figure sur un addendum ou une annexe. Clubs et joueurs peuvent ainsi frauder le fisc à volonté.

Anecdote «savoureuse» pour conclure, celle rapportée par le Monténégrin Nikola Nikezic, un ancien du club russe FC Kuban. Molesté et menacé par un revolver en janvier 2011, il raconte à la FIFPro: «Quand j’ai refusé de signer un document qui mettait fin à mon contrat, deux gars très costauds et armés sont entrés dans la pièce que l’entraîneur s’est empressé de quitter… J’ai fini par signer.»

Telle apparaît l’ambiance qui règne dans les pays auxquels l’UEFA puis la FIFA ont confié les deux événements phares du football planétaire. Mais le soleil se lève à l’Est, paraît-il.

«Black Book Eastern Europe»,
180 pages en anglais, FIFPro éditeur, Taurusavenue 35, 2132 LS Hoofddorp (Pays-Bas). Téléchargeable depuis le site www.fifpro.org

[SGE]

Très intéressant, bizarre que la presse ne s'en fasse pas écho...

[darkvador]

FIFA et UEFA même combat, argent et corruption

[Mystik]

FIFA et UEFA même combat, argent et corruption

A partir du moment que ca touche des championnats sans grande importance pour leur porte-monnaie, l'intérêt pour résoudre ces problèmes est moindre...